L'employé de la Banque Laurentienne responsable de la campagne de désyndicalisation au sein de l'organisation jure ne pas être un envoyé spécial du PDG François Desjardins. Sous le choc de la décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) de rejeter sa requête en désyndicalisation, Jonathan Leclerc ne renonce pas à poursuivre le combat.

Le CCRI a écarté la requête, mercredi, en soulignant avoir découvert que les déclarations soumises en preuve au soutien de la demande comportaient des signatures falsifiées. L'accréditation syndicale couvre environ le tiers des 3800 employés de la banque.

« Je ne crois pas du tout qu'il y ait eu des signatures falsifiées. Pour moi et mon équipe, c'était très clair qu'il ne fallait pas forcer la main d'un employé qui ne voulait pas signer. Encore moins de copier des signatures. Je ne comprends simplement pas », dit Jonathan Leclerc.

Il songe maintenant à contester la décision du CCRI. « J'espère pouvoir contester au moins pour qu'on se rende au vote. Je suis confiant que nous étions une majorité [en faveur de la désyndicalisation] », dit celui qui occupe un poste de conseiller financier depuis plus de 10 ans à la Laurentienne.

Deux recours sont possibles. Il pourrait demander au CCRI un réexamen de la décision ou porter la décision devant la Cour d'appel fédérale.

Son avocat, Philippe Garceau, dit qu'une décision sera prise la semaine prochaine.

« Ce qui nous surprend dans la décision du CCRI, c'est qu'elle a été rendue sur des allégations assez sérieuses sans qu'on soit entendu. On ne connaît pas la preuve sur laquelle le CCRI s'est basé. On est sous le choc. J'ai toutefois une bonne idée de ce qui s'est passé et nous sommes en train de faire des vérifications », dit-il.

« Je ne veux pas lancer d'accusations, mais est-ce que mon client peut avoir été piégé ? Il y a peut-être des gens qui en veulent à mon client. Toutes les possibilités doivent être analysées », ajoute-t-il.

« ALTER EGO » DE LA BANQUE

Jonathan Leclerc affirme que ses actions sont motivées par son désir de préserver son emploi et ceux de ses collègues. « Il faut passer à l'ère numérique », dit-il.

La Laurentienne s'est lancée depuis trois ans dans un ambitieux plan de transformation sur sept ans qui vise à augmenter substantiellement l'actif de la banque et à mettre davantage l'accent sur le conseil financier et la bonification des services sur les plateformes numériques. Depuis la mise en place du plan, la banque a notamment procédé à la fusion de 50 succursales.

Le syndicat affilié à la FTQ qui représente les employés de la Laurentienne soutient que Jonathan Leclerc ne défend pas les intérêts des employés, mais plutôt ceux de l'employeur.

« C'est la banque qui oriente, dans l'ombre, les activités de M. Leclerc en le soutenant de diverses manières, dont plusieurs traitements de faveur, pour lui permettre d'obtenir des démissions d'employés. Il est clair qu'il est dominé par la banque. L'adoption du plan de transformation nécessite des changements très significatifs au niveau du personnel syndiqué », peut-on lire dans un document juridique envoyé par le syndicat au CCRI.

Le syndicat qualifie même Jonathan Leclerc de « créature » de la banque et de porte-voix de son discours auprès des employés.

« Il est l'"alter ego" de la banque pour pouvoir obtenir la révocation de l'accréditation syndicale », lit-on dans le document.

Jonathan Leclerc rejette les allégations. « Je suis un employé qui essaie de s'assurer que la carrière que j'ai commencée à la banque puisse continuer. Je n'ai pas de contacts personnels avec le président François Desjardins. Je ne suis pas de sa famille, ni ami. Je n'ai aucun lien », dit-il.

Jonathan Leclerc a aussi mené la précédente tentative de désyndicalisation qui a échoué en début d'année. Plus de 60 % des employés ayant voté s'étaient alors prononcés en faveur du syndicat.

La Laurentienne est la seule banque à compter des employés syndiqués au pays. Le maintien du syndicat n'aide pas l'action de la banque, ont par ailleurs souligné hier les analystes Joseph Ng et John Aiken, de Barclays.

« Compte tenu que les employés syndiqués sont sans contrat de travail depuis près d'un an, l'absence d'une résolution rapide dans ce dossier continuera d'entraver la transformation de la banque dans son réseau de succursales. Son action risque donc de demeurer sous pression pour encore un moment. »

La désyndicalisation expliquée

CE TYPE DE DÉMARCHE EST-IL RARE ?

« Pas nécessairement, mais ça ne fait pas toujours la manchette des journaux, dit le professeur Alain Barré, du département des relations industrielles à l'Université Laval. Ça se voit plus fréquemment dans une petite entreprise. C'est plus difficile dans un grande organisation en raison du nombre de salariés à convaincre. »

Ça demeure tabou, lance le professeur Jean-Claude Bernatchez, spécialiste en relations de travail à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). « En général, les employeurs ne sont pas portés à en parler. Ils ne veulent pas avoir les centrales syndicales sur le dos. Il n'y a pas non plus de syndicats qui se vantent d'avoir perdu une unité syndicale. À partir du moment où vous exigez des lettres de démission de 50 % plus un des membres, peu de gens dans une grande organisation ont le temps et les connaissances pour mener une démarche. »

QUELS CAS VOUS VIENNENT EN TÊTE ?

Alain Barré pense tout de suite aux travailleurs syndiqués affiliés à la FTQ du Walmart de Saint-Hyacinthe, qui avaient déposé une requête en révocation de leur accréditation syndicale en 2011. Jean-Claude Bernatchez, de son côté, cite en exemple le bureau du Vérificateur général du Canada, il y a une dizaine d'années, où une démarche similaire avait fonctionné contre le syndicat de l'Alliance de la Fonction publique du Canada.

QUEL EST LE RÔLE DU CCRI ?

Dans le cas de la Banque Laurentienne, une requête en désyndicalisation doit être présentée devant le Conseil canadien des relations industrielles parce que les banques sont de responsabilité fédérale en vertu de la Constitution canadienne, souligne Jean-Claude Bernatchez. « Avant d'acheminer un dossier devant un juge administratif, les fonctionnaires du CCRI s'assurent qu'il répond aux exigences prévues dans le Code canadien du travail. » Si une requête est jugée recevable, un vote des syndiqués peut ensuite être tenu. Les balises sont sensiblement similaires pour une démarche effectuée auprès du Tribunal administratif du Québec.

COMMENT FONCTIONNE UNE DÉMARCHE DE DÉSAFFILIATION ?

Un dossier présenté au CCRI doit essentiellement comporter trois choses, souligne Jean-Claude Bernatchez. « D'abord, un formulaire de demande de révocation doit être rempli par la personne responsable de la requête. Il faut ensuite des déclarations confidentielles originales de tous les employés liés à la demande autorisant le requérant à agir en son nom. Il faut les déclarations d'au moins 50 % des syndiqués plus un. Et troisièmement, ça prend un certificat d'exactitude des documents fournis de la part du requérant. »

QUEL EST LE RÔLE DE L'EMPLOYEUR ?

Au Québec, la loi permet à un employeur de demander aux instances provinciales d'aller vérifier si le syndicat a encore la faveur de la majorité de ses membres, souligne Alain Barré. Dans le cas de la Banque Laurentienne, c'est un employé qui est à l'origine de la requête, et la direction de l'institution financière a simplement pris acte de la démarche et de la décision du CCRI sans faire de commentaire.