JPMorgan Chase vient de perdre deux milliards de dollars en un mois en misant sur des produits dérivés qui devaient pourtant protéger ses investissements. Un fiasco qui a fait perdre à JPMorgan 9,3% de sa valeur en Bourse hier. Et qui met en lumière l'importance de resserrer - encore - la réglementation des banques américaines, dit l'ancien shérif de Wall Street et gouverneur de New York Eliot Spitzer.

«Les grandes banques prennent toujours d'énormes risques dans leurs stratégies de transactions. Si elles ne sont pas capables d'éviter de perdre deux milliards dans un marché boursier relativement stable, je suis inquiet de ce qui pourrait arriver dans un marché volatil. Cet événement renforce l'importance de mettre en place la règle Volcker afin que les banques ne fassent plus ce genre de transactions avec l'argent des contribuables », dit Eliot Spitzer lors d'une entrevue exclusive à La Presse Affaires.

Eliot Spitzer ne veut pas que la réforme de Wall Street ne s'arrête à la règle Volcker. Celui qui a multiplié les poursuites contre Wall Street comme procureur général de l'État de New York de 1999 à 2006 suggère de ramener la loi Glass-Steagall, adoptée en 1933 pour contrôler la spéculation boursière. Plusieurs restrictions de la loi Glass-Steagall ont été abolies au fil des décennies.

«La règle Volcker est une petite partie de la loi Glass-Steagall, dit Eliot Spitzer. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Il faut éliminer les garanties fédérales, rendre les banques plus petites, réformer leurs incitatifs pour rémunérer leurs dirigeants. Malheureusement, le Congrès américain semble penser le contraire. J'espère que les élections de novembre prochain permettront aux gens de lancer le message qu'ils ne sont pas satisfaits de l'approche des élus républicains à la Chambre des représentants. Cela dit, même l'administration Obama n'a pas été assez agressive dans ses volontés de réforme à Wall Street.» Maintenant animateur à la télé, Eliot Spitzer a démissionné de son poste de gouverneur de New York en 2008 après son implication dans un scandale de prostitution.

Autre preuve que la règle Volcker ne règlera pas tous les problèmes de Wall Street: selon JPMorgan, les transactions ayant mené aux pertes de deux milliards auraient passé le test de la règle Volcker, qui n'entrera en vigueur que le mois prochain.

C'est aussi l'avis de Richard Guay, l'ancien président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec. «La règle Volcker permet les transactions de couverture pour protéger ses opérations et c'est ce qu'a fait JPMorgan en achetant un produit dérivé pour se protéger contre la faillite de 125 grandes entreprises américaines, dit M. Guay, aujourd'hui professeur de finances à l'UQAM. Le problème, c'est que JPMorgan prêtait probablement de l'argent qu'à une partie de ces 125 entreprises. JPMorgan a donc mal couvert ses risques, ce qui a provoqué ces pertes de deux milliards.»

Le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon, a fait son mea-culpa jeudi en annonçant les pertes deux milliards en un mois. Un milliard supplémentaire pourrait être perdu au cours des prochains trimestres. «C'était une mauvaise stratégie, mal exécutée, devenue plus complexe et qui a été mal surveillée. Nous avons fait des erreurs énormes», a dit Jamie Dimon.

Ironiquement, c'est Jamie Dimon, qui menait la charge pour Wall Street à Washington contre l'adoption de la règle proposée par l'ancien président de la Fed Paul Volcker. Surnommé le «roi de Wall Street» depuis que JPMorgan Chase a traversé la crise financière sans trop de heurts, Jamie Dimon était un interlocuteur respecté à la Maison-Blanche. Sa réputation de bon gestionnaire de risque d'être entachée par ces pertes colossales de deux milliards, effectuées par le bureau de Londres de JPMorgan.

Le courtier présumément responsable des transactions, un Français du nom de Bruno Michel Iksil, était surnommé par ses collègues la «Baleine de Londres» et Voldemort, le méchant sorcier des livres d'Harry Potter. Selon le New York Times, les autorités boursières américaines et britanniques posaient des questions à JPMorgan sur ce groupe de courtiers depuis un mois.

Le titre de JPMorgan Chase a perdu 9,3% de sa valeur hier, la première séance boursière depuis l'annonce des pertes. Environ 14 milliards de valeur boursière se sont ainsi envolés en fumée (JPMorgan vaut maintenant 141 milliards). «Deux milliards de pertes, c'est énorme, mais c'est 10% des profits annuels de JPMorgan. JPMorgan a mangé toute une claque, mais l'entreprise pas en péril. C'est peut-être même le temps d'acheter des actions après une telle baisse», dit Richard Guay, qui a dirigé la Caisse au plus fort de la crise du papier commercial en 2008.