La taxe sur la masse salariale, qui permet à Québec de récolter quelque 6 milliards par année auprès des entreprises, est en fait payée par les travailleurs les plus vulnérables. Elle grugerait les hausses salariales et coûterait en moyenne un millier de dollars par année à chaque travailleur, conclut une étude de HEC Montréal qui sera dévoilée aujourd'hui.

« Ce n'est pas une bonne taxe, ce n'est pas une taxe qui semble saine sur le plan économique. Quand on regarde ce qui nuit à la compétitivité fiscale du Québec, c'est la taxe sur la masse salariale », dit d'emblée Robert Gagné, professeur à HEC Montréal et directeur du Centre sur la productivité et la prospérité-Fondation Walter J. Somers.

0,47 %

C'est la conclusion centrale du rapport. Ce 0,47 %, c'est la réduction de la croissance salariale des employés pour un point de pourcentage de la taxe sur la masse salariale (TMS). Autrement dit, dans une grande entreprise qui paie la cotisation maximale de 4,26 %, la hausse des salaires est amputée chaque année de 2 % (soit 0,47 x 4,26). Au lieu d'avoir une augmentation annuelle de 3 %, les employés n'auront droit qu'à 1 %.

1970

Année d'entrée en vigueur de la cotisation obligatoire au Fonds des services de santé, communément appelée taxe sur la masse salariale. Établie à l'origine à 0,8 % de la masse salariale de l'entreprise et du salaire du travailleur, elle a grimpé jusqu'à 4,26 % en 1995. Elle a été abaissée pour les petites entreprises qui paient aujourd'hui, selon leur secteur, 1,55 % ou 2,5 %. Elle a rapporté 5,8 milliards au gouvernement du Québec en 2015-2016, plus que l'impôt des sociétés, dont les revenus ont été de 4,5 milliards.

ÉVITER « L'EFFET QUÉBEC »

En 2012, Statistique Canada a donné accès aux données fiscales de millions de contribuables canadiens entre 2001 et 2011. Les quatre auteurs de l'étude de HEC Montréal ont ainsi pu apparier travailleurs et entreprises et mesurer « avec un degré de précision inégalée » la croissance des salaires selon le taux de la taxe sur la masse salariale. En peaufinant la méthode et en éliminant les autres variables, tout en suivant le cheminement de chaque travailleur, on a obtenu ce fameux chiffre de 0,47 %. Et comme on s'intéresse à la croissance des salaires, et non aux sommes elles-mêmes, on évite de simplement constater que les salaires sont moins élevés au Québec.

« On n'est pas surpris des résultats, ils sont en droite ligne avec ce qu'on a trouvé dans la littérature : une bonne partie de l'impact est refilée aux employés », affirme Robert Gagné.

2,15 %

Au Canada, le Québec est, de loin, la province qui impose la taxe sur la masse salariale la plus lourde. Les trois autres provinces qui prélèvent cette taxe ou son équivalent, l'Ontario, le Manitoba et Terre-Neuve-et-Labrador, en exemptent les petites entreprises. Pour les grandes entreprises, le taux ne dépasse pas 2,15 %, soit la moitié du maximum en vigueur au Québec.

LES SOLUTIONS, SELON LE RAPPORT

> Éliminer la TMS pour les entreprises dont la masse salariale est inférieure à 450 000 $.

> Réformer l'aide aux entreprises (2,9 milliards en 2013-2014).

> Profiter des surplus dégagés pour abolir graduellement la TMS.

Selon M. Gagné, « réduire le fardeau fiscal des entreprises n'est pas populaire politiquement. Mais une taxe, ça ne reste pas coincé dans une entreprise, ça percole ailleurs, chez les actionnaires, les consommateurs qui paient plus cher... et surtout les travailleurs les plus vulnérables. »

DÉBAT OUVERT

La question du fardeau fiscal des entreprises est « polarisée », conviennent les auteurs du rapport. La taxe sur la masse salariale, elle, est régulièrement dénoncée par les lobbys d'affaires, le Conseil du patronat du Québec en tête. D'autres organismes, dont l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), rappellent cependant qu'il y a « un retour des bienfaits » pour les entreprises. « Il n'y a pas que les particuliers qui doivent participer au financement des services : les entreprises aussi en bénéficient, il est juste et équitable qu'elles paient leur part », dit Robert Laplante, directeur général de l'IREC. Il précise cependant qu'il n'a pas lu l'étude dirigée par M. Gagné et ne pourrait donc en critiquer la méthode.