L'ex-PDG de la SAQ, Gaétan Frigon, croit que Québec devrait clairement fermer la porte à la privatisation de la société d'État puisqu'il est «mathématiquement impossible que le privé donne plus d'argent au gouvernement».

«C'est impossible que le privé vende le vin moins cher et donne deux milliards aux gouvernements. Même s'il baissait les charges d'exploitation de 100 millions, cet argent ne serait pas retourné à l'État, il servirait à rembourser l'acquisition des succursales », calcule le gestionnaire qui a passé 40 ans dans la vente au détail, chez Metro et Steinberg, notamment.

Il comprend que Québec doive évaluer divers scénarios à la suite des critiques essuyées ces dernières années. Mais il ne voit pas comment la privatisation pourrait se faire. «Tu fais quoi avec les succursales ? Avec les baux de 10-15 ans ? Avec les 7000 employés ? Ça provoquerait une révolution sociale. On pense que les étudiants ont fait du grabuge avec leurs carrés rouges...»

Celui qui a dirigé la SAQ de 1998 à 2002 rappelle qu'après des questionnements semblables, l'Ontario et la Nouvelle-Écosse ont maintenu leurs monopoles. «Qu'on foute donc la paix à la SAQ. La privatiser serait une grande erreur.»

Mise en marché «à l'envers»

Étant «l'un des rares» à avoir vendu de l'alcool à la fois pour le privé et le public, Gaétan Frigon estime être bien placé pour comparer les deux approches. À son avis, le privé est meilleur «dans tout, sauf le vin».

Car le vin requiert une «mise en marché à l'envers», résume l'homme qui aura 77 ans en avril. «Il ne faut pas faire de choix en fonction des fournisseurs, mais uniquement en fonction des consommateurs, car il n'y a pas deux vins pareils.» La vente d'espace sur les rayons, par exemple, est la pire chose à faire pour tuer le marché, croit-il. Seuls les gros fournisseurs ont les moyens de payer, ce qui réduit le choix offert.

Pour étayer ses dires, il raconte l'histoire du cidre. «Quand le privé a eu le droit de vendre de l'alcool, il a toujours "fuckaillé" ça. Dans les années 70, les épiciers ont pu vendre du cidre. Ils vendaient l'espace sur les étagères, ils exigeaient des caisses gratuites, des rabais en dessous de la table. Ça a duré trois ou quatre ans, ils ont tué le marché et ils n'en vendent plus.»