Faut-il réglementer Netflix? Comme PDG de Québecor, Pierre Karl Péladeau se servait de l'exemple de Netflix pour demander des allégements réglementaires pour les entreprises de télécommunications comme Québecor et Vidéotron. En tant que député et candidat à la direction du Parti québécois (PQ), il veut maintenant que Netflix soit réglementé comme les distributeurs télé et contribue au Fonds des médias du Canada.

M. Péladeau lance cette idée alors que son entreprise Québecor demande actuellement une réduction de ses contributions au Fonds des médias du Canada (de 2,4 à 0,8% des revenus de Vidéotron à Montréal) pour financer le lancement d'une chaîne communautaire anglophone à Montréal.

Sur sa page Facebook plus tôt cette semaine, M. Péladeau se désolait du fait que Netflix n'est pas tenu de contribuer, contrairement aux distributeurs télé traditionnels comme Vidéotron, aux différents programmes de financement à la production comme le Fonds des médias du Canada.

«Les conséquences seront néfastes et fragiliseront le système de financement de la production canadienne et évidemment, la production québécoise, écrit-il. [...] Au Québec, les revenus générés par les distributeurs frôlent les 2 milliards pour lesquels ils doivent verser 5% pour financer la «programmation canadienne» afin de pourvoir au financement notamment du Fonds canadien des médias qui accompagne la production de nos émissions comme Unité 9, Yamaska et un nombre important d'autres productions d'ici.»

Comme président et chef de la direction de Québecor, M. Péladeau proposait plutôt la solution contraire aux défis posés par Netflix: alléger la réglementation des entreprises de télécoms comme Québecor/Vidéotron. «Nous sommes d'avis qu'il est urgent de rétablir un certain équilibre en allégeant le fardeau réglementaire qui pèse de plus en plus lourdement sur les épaules des radiodiffuseurs et des distributeurs canadiens. [...] Aidez-nous donc à demeurer compétitifs», avait déclaré M. Péladeau lors d'un discours devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le 20 juin 2011.

«M. Péladeau n'est plus à la direction de Québecor. Il a fait ces déclarations en 2011, soit avant les audiences sur Netflix, la sortie [du président du CRTC] Jean-Pierre Blais et les nouvelles directives émises par le gouvernement Harper. Trois ans plus tard, les choses ont changé, et le contexte est bien différent», a indiqué Marc-André de Blois, attaché de presse de Pierre Karl Péladeau. M. Péladeau a décliné l'invitation à préciser ses déclarations à La Presse.

Au cours de la dernière année, le CRTC n'a pas fait d'audiences sur Netflix, mais sur l'ensemble de l'univers de la télé. La réglementation de Netflix n'a pas changé depuis son arrivée au Canada en 2010.

Québecor, une entreprise dont M. Péladeau est toujours l'actionnaire de contrôle, maintient la position défendue en 2011 lorsque M. Péladeau était président et chef de la direction. Lors d'audiences publiques en septembre dernier sur l'avenir de la télé au pays, Québecor suggérait au CRTC «[d']alléger le fardeau réglementaire des entreprises de radiodiffusion canadiennes» qui «ont besoin d'une plus grande latitude pour maintenir les téléspectateurs au sein du système canadien de radiodiffusion».

Le commissaire à l'éthique de l'Assemblée nationale n'a pas voulu indiquer hier s'il comptait ouvrir une enquête, ni s'il a reçu une plainte au sujet de la déclaration de M. Péladeau sur Netflix, estimant que ses fonctions ne lui permettent pas de s'avancer publiquement sur un cas précis.

Dans un rapport d'enquête publié il y a une dizaine de jours, le commissaire à l'éthique, Jacques Saint-Laurent, a conclu que M. Péladeau a contrevenu aux règles d'éthique des députés lors de son intervention au profit de Québecor en lien avec la vente de Vision Globale. Le commissaire à l'éthique n'a pas imposé de sanction car il a jugé que M. Péladeau avait agi de bonne foi.

Diminuer ses contributions

M. Péladeau demande aussi à Netflix de contribuer au Fonds des médias du Canada alors que sa propre entreprise, Québecor, demande actuellement de réduire de façon significative ses contributions à ce fonds tirées des revenus de Vidéotron à Montréal.

Comme tous les distributeurs télé, Vidéotron doit verser 5% de ses revenus en milieu urbain au financement de la programmation canadienne. L'entreprise verse actuellement 2,4% au Fonds des médias du Canada, 2% de ses revenus à sa chaîne communautaire MAtv et 0,6% à des fonds de production indépendante comme le Fonds Québecor.

En 2013, alors que M. Péladeau était vice-président du conseil d'administration, l'entreprise a demandé au CRTC la permission de réduire ses contributions au Fonds des médias du Canada provenant de ses revenus dans la région de Montréal pour financer son projet de chaîne communautaire anglophone à Montréal (depuis 2010, le CRTC permet à une entreprise de télédistribution de financer deux chaînes communautaires à hauteur de 2% de ses revenus chacune). Vidéotron propose ainsi de consacrer 4% des revenus provenant de ses clients à Montréal à ses deux chaînes communautaires, 0,8% au Fonds des médias du Canada et 0,2% à des fonds indépendants comme le Fonds Québecor. La répartition des 5% des revenus de Vidéotron dans les autres régions du Québec resterait inchangée. Le CRTC doit rendre sa décision prochainement dans ce dossier.

- Avec la collaboration de Martin Croteau

Pas de contenu québécois sur Netflix en janvier?

Sans une nouvelle entente avec Radio-Canada, Netflix pourrait bien se retrouver sans contenu québécois le 1er janvier prochain.

Selon nos recherches, Netflix n'offrirait actuellement aucun film ou série télé du Québec à ses abonnés, à l'exception de deux séries pour enfants (À la ferme de Zénon, G cuisiné) qui seront retirées de Netflix le 1er janvier 2015. Depuis octobre 2012, Radio-Canada vend des séries télé à Netflix, mais aucune série de Radio-Canada n'aurait été acquise par Netflix en vue de 2015. Les deux parties continuent de négocier pour en venir à une nouvelle entente. «Les discussions sont toujours ouvertes avec Netflix», dit Marc Pichette, directeur des relations publiques de Radio-Canada.

Netflix, qui a comme politique d'entreprise de ne pas dévoiler le nombre ni l'origine de ses titres disponibles dans une région, n'a pas confirmé à La Presse Affaires le nombre des titres québécois disponibles actuellement. La Presse Affaires n'a pu trouver sur Netflix les titres de Radio-Canada annoncés précédemment (Les Parent, Les invincibles, La galère, le documentaire Amour, haine et propagande). Le Groupe TVA - lié par l'entremise de Québecor à Vidéotron qui exploite le Club illico, un concurrent de Netflix au Québec - n'a pas vendu pour l'instant de séries télé à Netflix.

Netflix estime-t-il diffuser suffisamment de contenu québécois? «C'est difficile pour moi de dire ce qui est assez ou pas assez de contenu québécois. Au Québec, nous regardons de nouvelles occasions d'avoir du contenu québécois. Nous travaillons étroitement avec Radio-Canada pour avoir plus de contenu», a indiqué Anne Marie Squeo, directrice des communications d'entreprise de Netflix, en entrevue à La Presse Affaires.

«Faible demande»

Après avoir doublé au Québec les deux premières saisons de sa populaire série House of Cards, Netflix explique avoir choisi de doubler la troisième saison en France en raison «de la faible demande pour du contenu doublé au Québec [in French Canadian]». Netflix a observé que ses abonnés au Québec préféraient de loin regarder la série avec des sous-titres en français plutôt que la version doublée.

«Les sous-titres en français sont beaucoup plus populaires que le doublage, explique Anne Marie Squeo, de Netflix. Comme le disait récemment Ted Sarandos [responsable du contenu de Netflix], les gens veulent entendre la voix de Kevin Spacey, ils ne veulent pas entendre la voix de quelqu'un qui joue le rôle de Kevin Spacey. Il semble que les sous-titres soient beaucoup plus populaires, pas seulement au Québec, mais partout où nous opérons. Nous continuerons de faire du doublage, mais nous allons prendre ces décisions judicieusement.»

Est-ce la fin des séries de Netflix doublées au Québec? En même temps que la fin du doublage de House of Cards, l'entreprise a cessé le doublage québécois de Hemlock Grove et Orange Is the New Black, comme l'a révélé La Presse le mois dernier. «Pour l'instant, nous n'en ferons plus, mais je ne veux pas dire que ce sera pour toujours parce que chez Netflix, ce qui était toujours vrai hier peut changer demain», dit Anne Marie Squeo.