«Nous sommes presque encouragés à plafonner la croissance de nos événements, dit Gilbert Rozon, président et fondateur du Groupe Juste pour rire. Il y a un danger que nous nous asseyions sur nos lauriers. Nous devrions plutôt subventionner en fonction de la croissance, de la capacité à grossir et à créer de la richesse.»

«Je crains que les grands événements culturels ne soient plus concurrentiels en création, en qualité de contenu, en nouveautés», dit Alain Simard, PDG et cofondateur de l'Équipe Spectra, qui organise les FrancoFolies de Montréal, le Festival international de jazz de Montréal et Montréal en lumière.

Le Regroupement des événements majeurs internationaux (REMI) demande au gouvernement Marois de hausser le plafond des subventions de Tourisme Québec de 1 à 1,25 million par année.

À Ottawa, Patrimoine Canada ne donne pas plus de 1 million par festival, et seulement deux festivals par ville peuvent avoir cette somme (le Festival international de jazz et Juste pour rire à Montréal, ce qui exclut les FrancoFolies).

«Il faudrait une formule comme dans l'industrie du jeu vidéo: ne pas plafonner les subventions, rendre les festivals redevables et les pénaliser s'ils ne livrent pas», dit Gilbert Rozon.

Une classe à part

Spectra fait aussi valoir que les programmes actuels sont mal adaptés à la réalité des festivals de rue gratuits à Montréal comme le Festival international de jazz et les FrancoFolies.

«Les programmes normés ne sont pas faits pour ce type de festivals, qui sont dans une classe à part tant pour les retombées économiques que pour leur structure de coûts, dit Alain Simard, qui est aussi président et fondateur du Festival international de jazz de Montréal. Plus nous avons de visiteurs, plus nous avons de coûts, plus nous générons de retombées économiques, mais moins nous avons les revenus en conséquence.»

Le Festival d'été de Québec, dont les spectacles les plus populaires sur les plaines d'Abraham sont payants, n'est pas d'accord avec cette dernière suggestion de Spectra.

«L'important, c'est ce qu'un festival investit dans ses spectacles, dit Daniel Gélinas, directeur général du Festival d'été de Québec. À Montréal, les spectacles payants sont en salle, à Québec, ils sont sur les Plaines. Nous générons des retombées économiques équivalentes, mais notre modèle d'affaires et la grandeur de notre site nous permettent de vendre davantage de billets. Plus de 40% de nos revenus proviennent de la vente de billets [contre 18% pour les FrancoFolies et le Festival international de jazz].»

Entre 16% et 22% de subventions, contre 50% en Europe

Les organisateurs des grands festivals se défendent de vivre aux crochets de l'État. En 2012, Juste pour rire a reçu 4,9 millions en subventions, soit 16% de son budget de 30 millions. Cette année, le Festival international de jazz de Montréal a reçu des subventions de 5 millions (18% de son budget) et les FrancoFolies, environ 2,2 millions (22%).

Selon Alain Simard, les grands festivals européens reçoivent entre 40% et 60% de leur budget en fonds publics. Gilbert Rozon parle de 50% à 70%. «Les Français et les Allemands ne comprennent pas comment on reçoit aussi peu de subventions», dit Gilbert Rozon. «À ma connaissance, nous avons le festival de jazz le moins subventionné au monde, dit Alain Simard. Aux États-Unis, les festivals de La Nouvelle-Orléans et de Chicago ont des taxes qui leur sont dédiées.»

Créé en 2007, le festival torontois Luminato est subventionné à hauteur de 5,5 millions, soit environ 50% de son budget de 11 millions. Par contre, le Festival d'été de Québec est le festival majeur qui dépend le moins des subventions publiques: 2,9 millions, soit 13% de son budget.

Les festivals reçoivent à la fois des subventions culturelles (ex.: la SODEC, Patrimoine Canada) et des subventions économiques (Tourisme Québec, Développement économique Canada). Tandis que les subventions culturelles sont souvent plafonnées, les subventions économiques sont octroyées avec des objectifs précis. «Chaque revenu est dédié à une dépense spécifique, dit Alain Simard. Nos grosses subventions touristiques vont couvrir 50% ou 70% de nos dépenses en publicité touristique, mais le touriste ne nous rapporte souvent rien quand nos spectacles payants sont pleins. Il achète un t-shirt, de la bière et c'est tout.»

Seule une hausse des subventions culturelles permettrait ainsi d'augmenter le budget des spectacles. «La SODEC donne 275 000$ par année aux FrancoFolies, ce qui est vraiment minime, dit Alain Simard. C'est 1% du budget, c'est le coût du spectacle 25 ans, 25 artistes, 25 chansons cette année. J'entends les gens dire qu'il n'y a pas de très grande vedette au Festival international de jazz cette année, mais il y a 10 festivals en Europe qui paient aux artistes un cachet deux fois plus élevé que nous.»

Un nouveau programme à Ottawa?

Parmi leurs demandes, les festivals aimeraient la création d'un nouveau programme de subventions à Ottawa. «Nous voulons avoir plus de sous pour générer plus de retombées économiques, dit Daniel Gélinas, du Festival d'été. À Québec, il n'y a pas d'ambiguïté: sans le Festival d'été, il y aurait un trou pour les commerçants l'été.»

En 2008, le gouvernement fédéral avait créé un nouveau programme temporaire de deux ans pour aider les grands festivals au pays. Depuis sa disparition en 2011, le niveau des subventions des festivals au Québec est passé de 24% à 18%. Le Festival de jazz est passé de 12 à 10 jours. «Sans cette subvention du fédéral, nous n'aurions pas pu nous payer Stevie Wonder en spectacle gratuit pour l'ouverture de la place des Festivals, dit Alain Simard. C'était en direct à CNN, ça a fait le tour du monde. C'est le genre de spectacle qui consolide ta place comme leader mondial.»

Dossier délicat

S'ils réclament des changements aux programmes de subventions, les organisateurs des grands festivals montréalais comprennent que le dossier est délicat pour les gouvernements. Surtout que les festivals sont en meilleure santé financière - le Festival international de jazz fait ses frais tandis que les FrancoFolies ont fait un surplus d'environ 100 000$ cette année, ce qui permettra de réduire leur déficit accumulé de 1,1 à 1,0 million.

«Nous ne pouvons pas nous plaindre de ne pas bien être traités par les gouvernements. Le gouvernement n'a pas le choix de faire une quantité de saupoudrage avec les régions, mais si nous [les festivals majeurs] en avions plus, ça rapporterait plus en retombées économiques», dit Alain Simard. «Il faudra attendre après le prochain rendez-vous électoral au fédéral, au provincial et au municipal», dit Gilbert Rozon.

Passer de 12 à 25 festivals?

D'ici cinq ans, Gilbert Rozon aimerait doubler le nombre de festivals à Montréal d'une douzaine actuellement à environ 25. Une concentration de festivals qui amènerait son lot supplémentaire de touristes étrangers, croit-il.

«Notre avenir n'est pas la clientèle locale, c'est la clientèle internationale qui amène des retombées et de la richesse, dit le président du Groupe Juste pour rire. Pour attirer la clientèle internationale, il faut avoir beaucoup plus d'ambition et devenir une destination incontournable.»

Gilbert Rozon suggère ainsi de concentrer tous les festivals montréalais en juin et juillet, comme la ville d'Édimbourg en Écosse le fait au mois d'août. «L'objectif, c'est que même le New-Yorkais blasé qui a tout vu vienne à Montréal durant cette période», dit-il.

Son homologue chez l'Équipe Spectra, Alain Simard, souhaite aussi doubler le nombre de festivals à Montréal.

Mais plutôt que de les rassembler en juin et juillet, Alain Simard suggère un «festival permanent» de la fin mai au début septembre. «Il faut étendre l'été des festivals pour maximiser les infrastructures [la place des Festivals]», dit le PDG de Spectra.

Des frais de gestion comparables

Au plus fort de la «guerre des festivals» Montréal-Québec à l'été 2009, le maire de Québec, Régis Labeaume, avait accusé Spectra de vouloir se mettre «de l'argent dans les poches» en déménageant les FrancoFolies d'août à juin.

Une image qui colle à la peau des quatre plus importants festivals montréalais, des organismes à but non lucratif, mais qui signent un contrat de gestion avec une entreprise privée (le Groupe Juste pour rire pour le festival du même nom, l'Équipe Spectra pour le Festival international de jazz, les FrancoFolies et Montréal en lumière, l'hiver). «Les politiciens peuvent dire que l'argent va à Alain Simard, mais nous ne touchons pas un sou des subventions, dit Alain Simard, PDG et cofondateur de Spectra. Nous ferions plus d'argent si les festivals étaient privés, mais il n'y aurait pas de spectacle gratuit.» Tourisme Québec subventionne aussi des festivals privés, par exemple Osheaga, le festival de musique qui est la propriété d'evenko.

Frais concurrentiels

Les frais de gestion de Juste pour rire et Spectra se comparent avantageusement avec ceux des festivals gérés entièrement par un organisme à but non lucratif (ex.: le Festival d'été de Québec et Luminato à Toronto). Le Festival de jazz verse 3% de son budget en honoraires à Spectra et paie 6% de son budget en frais administratifs, ce qui donne un total de 9%. Le Festival Juste pour rire verse environ 7% de son budget en honoraires et en frais administratifs au Groupe Juste pour rire. Les frais d'administration du Festival d'été de Québec sont de 9%, tandis qu'à Toronto, le festival Luminato dépense 26,5% de son budget pour ses employés et la location de ses bureaux. «À New York, un organisateur de festival prend des frais de gestion de 10%», dit Gilbert Rozon.