Attendez-vous peut-être à d'autres crises périodiques pour le cinéma québécois, prévient le grand patron du nouveau géant de la distribution eOne. Selon Patrice Théroux, le Québec ne produit pas assez de films pour espérer maintenir tous les ans ses parts de marché au box-office.

«Je ne crois pas au déclin permanent de l'industrie, mais le cinéma québécois ne produit pas assez de films pour être certain d'avoir 10% du box-office chaque année, dit Patrice Théroux, président de la division cinéma et télé d'Entertainment One (eOne). Un an auparavant, nous le savions (que l'année 2012 serait plus difficile pour le box-office québécois). Il n'y avait pas de projets très porteurs durant l'été et pour les Fêtes, il manquait un ou deux films qui font 7-8 millions au box-office.»

L'année 2012 a été la pire année depuis une décennie pour le cinéma québécois, qui n'a généré que 4,8% des recettes au box-office québécois. Après leur sommet de 18,5% en 2005, les films québécois ont conservé une moyenne 10,6% des recettes au box-office en 2006-2011. M. Théroux est néanmoins optimiste pour l'avenir du cinéma québécois. «Il y a beaucoup d'idées avec un potentiel commercial pour les prochaines années», dit-il.

L'appui d'eOne au cinéma québécois compte doublement à partir d'hier, alors que l'entreprise torontoise a conclu l'acquisition de son concurrent montréalais Alliance Vivafilm, pour 225 millions de dollars. La nouvelle entité - constituée des deux distributeurs indépendants les plus importants au pays - est depuis hier le plus important distributeur de films au pays. Et elle entend distribuer autant de films québécois qu'avant. «Nous entendions la même chose quand nous avons fait l'acquisition de Séville en 2007 et nous avons toujours gardé ce créneau, dit M. Théroux, en entrevue à La Presse hier après la conclusion de la transaction. Je suis originaire du Québec, j'aime le cinéma québécois. Certaines années, il y aura plus de films, ça dépend toujours de l'offre. Ce n'est pas ce qui est le plus rentable, mais ça fait partie de notre ADN.»

eOne générera environ 20% des recettes au box-office au Canada et 27% au Québec en 2012, loin devant chacun des distributeurs hollywoodiens. eOne (Twilight) et Alliance (The Hunger Games) distribuent les films des studios indépendants comme Lionsgate, Weinstein et Dreamworks, en plus de films canadiens et québécois. Le Bureau de la concurrence a avalisé la transaction, estimant que le cinéma canadien n'était pas menacé en raison du rôle des subventions. Par surcroît, le cinéma québécois compte plusieurs distributeurs indépendants (Remstar, Métropole). «Ça nous ramène environ à la situation d'Alliance il y a six ans, avant l'arrivée d'eOne», dit Patrice Théroux, ancien dirigeant chez Alliance qui a été mis à la porte en 2006.

Pertes d'emplois?

Bénéfique ou pas, il s'agit d'un changement important pour l'industrie québécoise du cinéma. «Ça va entraîner des changements, mais il va falloir qu'eOne agisse en bon citoyen corporatif et continue d'appuyer le cinéma québécois», dit le producteur Pierre Even (Rebelle, C.R.A.Z.Y., Café de Flore).

À moyen terme, l'impact de la transaction se fera sentir dans les bureaux montréalais de la nouvelle entreprise, qui supprimera des emplois à Montréal. eOne compte actuellement 185 employés au Québec, 115 chez sa filiale Séville et 70 chez Alliance. Le contrat de vente avec Investissement Québec (qui recevra 67 millions après en avoir investi 115 millions en 2007 et 2008) prévoit le maintien des 70 emplois chez Alliance pour un an seulement. «C'est certain qu'il y a des synergies à faire, mais le Québec demeurera très important pour eOne, dit Patrice Théroux. Nous n'avons pas de plan drastique ni même pris de décision, mais on peut spéculer sur une rationalisation.» Avant la transaction, eOne avait 1108 employés dans le monde, Alliance 289 employés.