Une nouvelle vague de fermetures déferle sur l'industrie des pâtes et papiers. En une semaine, avant Noël, plus de 1000 emplois ont disparu au Québec. Cette industrie, qui a déjà été la colonne vertébrale de l'industrie manufacturière du Québec, a perdu 25 000 emplois depuis 2005. La crise aura peut-être une fin, mais rien ne sera plus jamais pareil dans les régions où ont vécu des générations de travailleurs, a constaté notre journaliste qui revient de Québec et du Saguenay.

Du belvédère qui domine l'usine où il a travaillé pendant 30 ans et où son père avant lui a passé sa vie, Camille Cantin regarde en bas, encore incrédule. Ça fait pourtant trois ans qu'AbitibiBowater a fermé son usine de Donnacona. Une des premières de ce qui allait être une longue série de fermetures un peu partout au Québec.

«Il me semble que ça se peut pas», dit-il, debout dans le vent frisquet de cet après-midi d'hiver. Les trois quarts de l'usine qui employait 250 personnes lors de sa fermeture en 2008 sont déjà démolis. Les équipements sont partis à la ferraille, vendus et démantelés par la firme spécialisée American Iron&Metal.

Ce que Camille Cantin regarde, en bas, c'est ce qui reste: la nouvelle usine construite en 2000 au coût de 300 millions. Même pas 12 ans d'âge. Elle est encore debout, mais pas pour longtemps. Personne n'a voulu l'acheter et après avoir pressenti Kruger, Cascades et Catalyst, le comité de relance a rendu les armes.

Avec cette usine toute neuve et les concessions d'une valeur de 15 millions qu'ils avaient accepté de faire, les travailleurs de l'usine de Donnacona pensaient bien être parmi les survivants, parmi ceux qui résisteraient à la tourmente qui secoue l'industrie des pâtes et papiers.

L'usine, qui appartenait alors à Produits forestiers Alliance, abandonnait le papier journal pour une production plus prometteuse, le papier à encarts publicitaires. L'investissement dans sa modernisation avait été annoncé en grande pompe par le premier ministre Lucien Bouchard et inauguré par son successeur, Bernard Landry.

Camille, Robert, Marc et Yves, réunis ce jour-là pour rencontrer La Presse Affaires, s'en souviennent comme si c'était hier.

Investissement Québec avait versé 36 millions à la relance de leur usine. «On était fiers, on nous disait qu'on avait enfin une production de classe mondiale», dit Camille Cantin.

Le premier rouleau de papier sorti de la nouvelle machine a été conservé et autographié par tous les travailleurs et par leur grand patron du temps, Pierre Monahan.

Quand les travaux de démolition ont commencé, les syndiqués ont rescapé ce souvenir qui pèse une tonne. Il est actuellement entreposé temporairement. Personne ne sait quoi faire avec.

Pourquoi nous?

Trois ans après le jour fatidique où ils ont appris qu'ils perdaient leur job, les travailleurs de l'usine de Donnacona se demandent encore pourquoi Bowater, une fois fusionnée avec Abitibi, a choisi de fermer leur usine.

«On se disait qu'ils ne pouvaient pas fermer, l'usine était neuve», rappelle Robert Drolet. Le représentant syndical pleurait quand il a réuni les travailleurs qui restaient, le 31 janvier à minuit, quand les activités ont cessé pour une durée indéterminée. Elles n'ont jamais repris.

Les syndiqués ont poursuivi leur employeur pour obtenir une indemnité de départ. Mais comme AbitibiBowater s'était placée entre-temps sous la protection de la loi pour éviter la faillite, ils ont été considérés comme des créanciers ordinaires. L'employeur leur a remboursé 36 cents pour chaque dollar qu'il leur devait, comme aux autres créanciers. Et les travailleurs ont dû accepter d'être payés en actions, pas en argent.

Marc Brière dit avoir reçu 144 actions qu'il a aussitôt vendues pour encaisser 2273$. «On me devait 38 000$», assure-t-il.

Yves Girard, lui, a pu prendre une retraite anticipée. Mais il a reçu les documents de règlement de son employeur en anglais et ne les a pas déchiffrés correctement. Parce qu'il n'a pas signé à la bonne place, il dit avoir perdu 800$ sur les 1300$ qu'il s'attendait à recevoir.

Ça fait plus de trois ans, mais ça fait encore mal. «On s'est fait fourrer mais on n'est pas morts, il faut que le monde le sache», dit Marc Brière.

AbitibiBowater a effacé ses dettes et s'est remise en mode expansion. L'entreprise tente de mettre la main sur Fibrek, une entreprise de pâte qui lui a déjà appartenu. Yves le retraité a du mal à l'avaler: «Ça nous fait-tu assez mal au coeur de voir ça, vous pensez?»

Trop vieux?

Trois ans après avoir perdu leur job, la plupart des travailleurs de l'usine sont toujours sans emploi. Ceux qui avaient un métier, électriciens ou mécaniciens, ont pu se replacer ailleurs, dit Robert Drolet, représentant syndical.

Il y en a un chez Ultramar, un autre est parti en Nouvelle-Calédonie.

Les autres, la grande majorité, sont restés à Donnacona et cherchent encore. Camille Cantin a 53 ans. Il a travaillé pendant six mois à Bécancour. Une heure et demie de route de Donnacona aller seulement. Ça a duré six mois. L'usine a fermé. Il a trouvé autre chose plus près de chez lui, dans l'aménagement paysager. «C'est saisonnier et ça ne paye pas», résume-t-il.

Pour ces syndiqués qui ont gagné entre 30 et 35$ l'heure toute leur vie, avec la possibilité de faire beaucoup d'heures supplémentaires, c'est dur.

Marc Brière, 53 ans, est lui aussi trop jeune pour la retraite. Il a fait au moins 100 demandes d'emploi depuis que l'usine a fermé. Il a failli en décrocher un, comme concierge à l'hôpital Laval, à 17$ l'heure. Finalement, sa candidature a été rejetée parce qu'il n'avait pas son diplôme d'études secondaires. «Il me manquait une unité pour l'avoir. En anglais écrit. J'étais prêt à retourner à l'école pour l'avoir, mais ils n'ont pas voulu», raconte-t-il.

Robert Desroches, 58 ans, a lui aussi voulu devenir concierge à l'hôpital Laval. Il a terminé son secondaire, mais ça n'a pas marché non plus. «Ils ne veulent pas le dire, mais ils me trouvent trop vieux», constate-t-il, amer.

Le représentant syndical continue de s'occuper des dossiers et des retraites de ses camarades, mais pour lui aussi, ça achève. À 52 ans, Robert Drolet doit lui aussi penser à ce qu'il fera après.

Rétrospectivement, il croit que les travailleurs de Donnacona ont été victimes d'une décision politique. «Ils ont choisi de ne pas fermer Grand-Mère, qui était dans la circonscription de la ministre Julie Boulet», dit-il.

La preuve de ce qu'il avance? «Il y a des usines beaucoup plus vieilles que la nôtre qui fonctionnent encore, et le gouvernement est prêt à leur donner de l'argent.»