L'Autorité des marchés financiers (AMF) enquête sur un réseau qu'elle décrit comme une nouvelle pyramide à la Ponzi, semblable à l'affaire Earl Jones. Cette fois, le stratagème impliquerait deux groupes d'investisseurs pour des fonds oscillant entre 17 et 23 millions de dollars.

Le premier groupe est composé de 54 personnes qui ont investi dans la Fondation Fer de lance (FFDL), cette firme qui a fait l'objet de nombreuses accusations en juillet dernier. En poursuivant son enquête, l'AMF s'est rendu compte qu'un autre groupe d'investisseurs est lié à la Fondation.

Selon l'AMF, ce deuxième groupe d'une cinquantaine d'investisseurs, principalement de la Beauce, aurait placé 9 millions dans l'entreprise PIF entre 2001 et 2004. Ces personnes attendent d'être remboursées depuis 2005 et plusieurs croient que l'argent viendra de la Fondation Fer de lance, pourtant déjà déficitaire, selon l'AMF.

Les renseignements sur l'enquête proviennent du témoignage écrit d'un enquêteur de l'AMF, Éric Desrosiers, déposé au tribunal dans le cadre d'une perquisition de l'AMF. Le témoignage de 51 pages était scellé, mais le principal suspect de l'AMF, Paul M. Gélinas, a obtenu de la cour qu'il soit descellé, ce qui a rendu le mandat public.

«Ingénierie financière internationale»

L'argent des investisseurs de PIF a été placé dans «des ingénieries financières non traditionnelles» et des investissements internationaux «totalement» sûrs devant rapporter 12% par an, selon l'enquête de l'AMF. Ni PIF ni ses dirigeants n'ont de permis de l'AMF pour recueillir des fonds et aucun prospectus n'a été déposé pour ces placements.

Les investisseurs de PIF auraient commencé à constater des retards de paiement en 2004. Il appert qu'aucun d'entre eux n'a reçu un sou depuis 2005, selon l'AMF.

L'enquêteur de l'AMF a mis la main sur une lettre troublante que Paul M. Gélinas a transmise aux investisseurs, en octobre 2007. Gélinas, fondé de pouvoir de PIF, a dit aux investisseurs qu'ils ne récupéreront pas leurs fonds en vertu du plan initial, mais plutôt grâce à «une ingénierie complexe où les nouveaux pourvoyeurs de fonds (PDF) n'ont rien à voir avec PIF».

«Cela représente tout un défi, a écrit M Gélinas, car les nouveaux PDF ignorent totalement l'existence de ceux concernés dans PIF, ainsi que l'environnement particulier de vases communicants permettant le cumul des sommes nécessaires au règlement tant attendu de tous.»

Dans des courriels subséquents, Paul Gélinas leur écrit que «l'ingénierie financière est développée par la Fondation Fer de lance», rapporte l'enquêteur de l'AMF. Certains des huit investisseurs rencontrés par l'AMF croient aujourd'hui que leur remboursement sera fait par la Fondation.

Côte d'Ivoire et Papouasie

Cette Fondation a entrepris d'amasser des fonds en 2006-2007, quand le bateau a commencé à prendre l'eau chez PIF. Selon l'AMF, la Fondation a recueilli 14,5 millions entre 2007 et 2009 en promettant des rendements de 20 à 300% aux investisseurs, dont les fonds étaient prétendument entièrement garantis. Les fonds ont été amassés auprès de 54 investisseurs sans permis ni prospectus. L'entreprise a soi-disant des projets en Côte d'Ivoire et en Papouasie indonésienne.

Environ la moitié des 14,5 millions ont été remboursés, mais la Fondation doit toujours 7,7 millions aux 34 investisseurs restants. L'AMF n'a trouvé que 5,8 millions dans les comptes qu'elle a bloqués. À ces réclamations de 7,7 millions pourraient peut-être s'ajouter celles de 9 millions des 48 investisseurs de PIF, comprend-on de l'enquête de l'AMF.

La mission de la Fondation est «d'utiliser tous les moyens disponibles pour améliorer la qualité de vie du genre humain». Ses investissements sont notamment faits par l'entremise des îles Turks et Caicos, un paradis fiscal.

Certains investisseurs continuent de faire confiance aux dirigeants, mais d'autres ont baissé les bras. C'est le cas de Jacques Preschoux, de Montréal, que La Presse a rencontré. «J'ai commencé à me méfier en 2008. On me disait qu'il fallait que les deux ingénieries financières concordent entre ici et l'Europe. Aujourd'hui, je me sens floué», dit M. Preschoux, copropriétaire des fameuses boulangeries Les Copains d'abord, à Montréal.

M. Preschoux a investi 30 000$ pour lesquels on lui a promis une compensation de 9000$ après trois mois, soit 30%.

Une autre entreprise d'«ingénierie financière» est liée aux deux autres: le Groupe financier Y-Voir. La société PIF a investi 2,2 millions dans Y-Voir en 2004, mais les fonds sont vraisemblablement perdus, puisque Y-Voir a déclaré faillite en 2007. Dans le dossier de faillite, le syndic explique que ses déboires seraient attribuables «à une instabilité marquante depuis 2001 sur le plan international».

Y-Voir, PIF et la Fondation partagent plusieurs dirigeants, notamment Paul M. Gélinas et l'avocat Jean-Pierre Desmarais. Ces deux personnes ont été accusées par l'AMF de courtage illégal en juillet dernier. L'organisme réclame pour chacun cinq ans de prison, en plus d'une amende de 1 million de dollars.

Paul M. Gélinas conteste les allégations de l'AMF. Dans un communiqué publié en août dernier, il a qualifié les poursuites de l'AMF de «chasse aux sorcières». Selon ses dires, les activités de la Fondation ne sont pas assujetties à la Loi sur les valeurs mobilières ni à l'AMF.