En août 2010, quand l'employé du café internet qu'il fréquente lui a demandé s'il voulait un Extra avec son billet de loto 6/49, Michael Amar n'a pas répondu «non merci» comme dans la publicité télé. Il a plutôt sorti son portefeuille et a acheté 10 séquences d'Extra, le maximum possible, pour maximiser ses chances de gagner.

> Suivez Philippe Mercure sur Twitter

«J'achète toujours 10 Extra. Les chances de gagner la loto sont de seulement 1 sur 10 millions et je veux les augmenter le plus possible», a expliqué M. Amar à La Presse Affaires.

M. Amar n'a pas gagné le million avec son billet. Mais un an plus tard, il espère recevoir plusieurs millions de Loto-Québec. L'homme qui lui a vendu le billet, Rajib Ullah, et lui poursuivent en effet Loto-Québec pour plus de 20 millions. Leur prétention: les combinaisons offertes aux acheteurs d'Extra ne sont pas aléatoires.

Cette histoire inusitée, révélée lundi par le journal The Gazette, n'est pas simple à comprendre.

En août 2010, après avoir acheté son fameux billet, M. Amar l'examine attentivement et se rend compte qu'il est assuré de remporter au moins 2$. Il faut savoir que l'Extra est une combinaison de sept chiffres, et que quiconque a le bon dernier chiffre remporte 2$.

Or, coup de chance: en achetant 10 Extra, M. Amar est tombé sur 10 chiffres différents, ce qui l'assure de détenir le bon, peu importe lequel sera tiré ce soir-là. M. Amar note tout de suite une autre coïncidence: comme les derniers chiffres des combinaisons, tous les premiers chiffres de ses séquences sont différents.

«J'ai montré ça à Rajib, et ça nous a intrigués. On en a acheté d'autres - des Banco avec six Extra, des Triplex avec sept Extra, etc. C'était toujours la même chose. Les premiers et les derniers chiffres des combinaisons étaient toujours différents.»

La Presse Affaires a tenté l'expérience en achetant hier un billet de Loto 6/49 avec 10 Extra. Comme dans le cas des billets achetés par M. Amar et M. Ullah, aucune répétition ne s'est produite dans les premiers et derniers chiffres des séquences.

Selon Louigi Addario-Berry, professeur au département de mathématiques de l'Université McGill cité par The Gazette, les probabilités de tomber sur un tel billet sont seulement d'environ 1 chance sur 7,5 millions.

Que se passe-t-il?

M. Amar et M. Rajib ont joint Loto-Québec pour le savoir. Insatisfaits des réponses, ils ont finalement intenté une poursuite de 40 000$ en dommages et intérêts et de 20 millions en dommages punitifs contre Loto-Québec. Selon eux, le fait que les numéros de l'Extra ne soient pas accordés de manière aléatoire favorise le gain de petits lots, mais diminue la probabilité de gagner des lots plus importants.

Loto-Québec a confirmé à La Presse Affaires avoir reçu la poursuite, mais a refusé de commenter le cas.

Dans une lettre envoyée à M. Ullah déposée en preuve en Cour supérieure, Loto-Québec assure que toutes les séquences d'Extra sont générées de façon aléatoire.

«Les numéros Extra «participant» ou «non participant» sont attribués aléatoirement par un algorithme de génération de numéros qui est utilisé par le système central de Loto-Québec. Ainsi, chaque numéro compris entre 0000000 et 9999999 est généré aléatoirement et sans intervention ou calcul.»

Selon Richard Labib, professeur de mathématiques et expert en probabilités à l'École polytechnique de Montréal, il est possible que Loto-Québec ait simplement voulu mettre en place un mécanisme pour s'assurer qu'un acheteur qui achète plusieurs Extra sur un même billet ne se retrouve pas deux fois avec la même séquence.

Selon lui, il est loin d'être clair que la façon de faire de Loto-Québec cause un préjudice aux joueurs. D'abord, il fait remarquer que si les règles sont les mêmes pour tout le monde, les probabilités de gagner le sont aussi.

Selon les calculs préliminaires qu'il a effectués à la demande de La Presse Affaires, il serait même possible que le fait d'empêcher les répétitions sur les premiers et derniers chiffres avantage légèrement les joueurs.

«Ma première impression, c'est que cette façon de faire pourrait induire un léger avantage. Mais il faudrait absolument, et je dis bien absolument, faire des calculs plus poussés pour tirer de vraies conclusions», dit M. Labib.

M. Amar, pourtant, n'en démord pas. «Les règlements de Loto-Québec stipulent que personne ne peut utiliser de mécanisme, quel qu'il soit, qui lui permettrait de prédire qui peut gagner quel lot. Or, en achetant 10 Extra, vous êtes en mesure de prédire que vous allez gagner un minimum de 2$.»