L'aéroport de St-Hubert génère des retombées de 60 millions et plus de 1000 emplois directs et indirects sur la rive Sud de Montréal. Des documents produits en cour soulèvent des questions sur un projet d'aérogare crucial pour l'avenir de cette infrastructure.

Un rapport de vérification de la firme KPMG, déposé en Cour supérieure il y a deux semaines, révèle que l'organisme sans but lucratif a payé trois millions à la Corporation DEV-YHU pour acquérir un immeuble de l'avenue de l'Aviation. La transaction comporte deux volets : 1,75 million pour le terrain et le bâtiment, ainsi que 1,25 million pour des «frais d'honoraires pour la mise en place, la conception d'un projet d'aérocentre».

Les enquêteurs de KPMG constatent que la moitié de ce 1,25 million a en fait payé le salaire, les frais de déplacement et les frais de télécommunication des administrateurs de DEV-YHU. En fait, précise le rapport, à peine 16% de la somme a effectivement servi à payer des honoraires externes pour l'élaboration d'un plan d'affaires.

«La direction de DASH-L a effectué le paiement des honoraires sans préalablement demander, examiner et compiler les pièces justificatives supportant la valeur de 1 250 000 $ établie dans l'entente de partenariat avec Corporation DEV-YHU», affirme le rapport.

L'un des actionnaires de la Corporation DEV-YHU est une société appartenant à Gordon Livingstone. Cet homme d'affaires est le PDG d'Aérocentre YHU Longueuil, la coentreprise créée pour bâtir l'aérogare.

M. Livingstone est aussi le vice-président du conseil d'administration de DASH-L, l'organisme à but non lucratif qui gère l'aéroport de St-Hubert.

En entrevue à La Presse Affaires, M. Livingstone a précisé qu'il a été invité à se joindre au conseil de DASH-L en juin 2008, quelques mois après qu'un protocole d'entente eut été signé pour la vente de l'immeuble. Il s'est abstenu de voter lors de l'approbation de la transaction, en avril 2009, afin de ne pas se placer en situation de conflit d'intérêts.

Le rapport de KPMG reste muet sur un aspect fondamental de la transaction, poursuit M. Livingstone. C'est la Corporation DEV-YHU qui a lancé le projet d'aérogare il y a plusieurs années. DASH-L a demandé à s'y joindre par la suite.

Pour accommoder l'organisme qui gère l'aéroport, la Corporation DEV-YHU a dû renoncer à posséder son propre terminal, indique M. Livingstone. Elle a signé un bail emphytéotique de 60 ans qui l'oblige à verser au moins 500 000$ par année à DASH-L, et à investir des millions pour bâtir le nouveau terminal.

«Financièrement, si l'on avait fait notre projet sur notre propre terrain, ça aurait été beaucoup plus intéressant que d'avoir un bail pour 60 ans avec des conditions à payer à DASH-L, a résumé l'homme d'affaires. Financièrement, c'était une mauvaise entente.»

Un projet retardé

Le projet d'aérogare a été dévoilé en grande pompe par DASH-L et DEV-YHU en avril 2009. Les partenaires ont créé la coentreprise Aérocentre YHU Longueuil pour ériger un nouveau terminal et des hangars. Celle-ci s'est engagée à investir 20 millions en trois ans.

Les travaux devaient débuter en 2009 et se terminer fin 2010. Au moment de l'annonce, la direction a affirmé être en pourparlers avec Porter Airlines pour attirer ce transporteur à St-Hubert.

Deux ans plus tard, la construction n'a toujours pas commencé.

Les administrateurs rencontrés par KPMG n'ont pas fait mention d'ententes avec des compagnies aériennes intéressées à s'établir à St-Hubert, selon le rapport. Et DASH-L ne semblait pas avoir obtenu de garanties quant à la disponibilité de fonds pour son partenaire.

«Une majorité de personnes que nous avons rencontrées semblent connaître très peu de détails sur l'avancement du projet qui, pourtant, est au centre de l'avenir économique de DASH-L», précise le rapport.

Plusieurs contretemps ont retardé la mise en marche du projet, indique M. Livingstone. Le gouvernement fédéral a refusé la demande de subvention de 80 millions. Le fabriquant de moteurs Pratt & Whitney, un utilisateur potentiel des futures installations, a déménagé une partie de ses opérations à Mirabel. Et la controverse sur le bruit à l'aéroport, couplée à une querelle interne chez DASH-L, n'ont rien fait pour aider.

Le président de DASH-L, Pierre-Hugues Miller, n'était pas à la tête de l'organisme lorsque le projet a été lancé. Il affirme aussi que le rapport de KPMG présente un portrait incomplet de la situation, car les enquêteurs n'ont rencontré que deux membres de son conseil d'administration. Il n'a d'ailleurs pas été interrogé dans le cadre de la vérification.

Le projet de l'Aérocentre YHU Longueuil est bien vivant, assure-t-il. L'agglomération de Longueuil a donné son aval au projet il y a un peu plus d'un mois, et il faut encore obtenir le feu vert de Transport Canada.

M. Miller s'attend à ce que le dossier débloque d'ici la fin de l'été.

«Le projet n'est peut-être pas de la même ampleur que ce qui avait été prévu initialement, mais il est encore sur les rails, a-t-il indiqué. Il y a des choses qui vont se faire rapidement et je pense que le projet va voir le jour dans les prochains mois.»

Le conseil d'administration de DASH-L s'est réuni la semaine dernière pour discuter des suites à donner au rapport KPMG.

Bisbille interne

L'organisme DASH-L est paralysé depuis des mois par une querelle interne. Des entreprises d'aviation se sont récemment adressées à la Cour supérieure pour faire bloquer une réforme administrative qu'elles percevaient comme une tentative de diluer leur influence sur l'administration de l'aéroport.

Ce sont elles qui ont déposé le rapport de KPMG en cour. Ce document avait été commandé par le conseil d'administration à la demande des membres de DASH-L.

Un autre litige entre la direction de DASH-L et les entreprises d'aviation se trouve devant les tribunaux. Des compagnies veulent bloquer l'adoption d'un règlement qui limiterait les heures de décollage et d'atterrissage. Cette affaire est présentement devant la Cour d'appel.