C'est au Québec que le vigneron entrepreneur Alain Brumont est venu fêter ces jours-ci son 65e anniversaire de naissance tandis que l'hiver menait son baroud d'honneur.

Il rêve de s'y installer et d'y mener la vie d'un semi-retraité. Déjà en 2004, il commençait à y songer quand des ennuis familiaux et d'affaires ont accaparé tout son temps.

C'est désormais réglé. À la tête de la prestigieuse maison qui a relancé l'appellation Madiran avec Château Bouscassé, où il est né et dont il a hérité en 1979, et Château Montus, qu'il a acquis en 1980 «sur un coup de colère» et grâce à un prêt bancaire, il paraît fort préoccupé par la pérennité de son entreprise qu'il a hissée parmi les maisons viticoles les plus prestigieuses.

«J'ai une grosse structure et les droits de succession sont élevés en France, confie en entrevue l'homme à la faconde redoutable et à l'accent gascon taillé au couteau. Ça prendra un investisseur.»

Il a déjà un partenaire à hauteur de 30% du capital qui ne sera pas touché par la ponction fiscale qui accompagnera l'éventuel transfert de propriété à ses enfants.

La pérennité est toutefois pour Alain Brumont bien plus qu'une affaire de relais filial déjà compliqué. Il tient à ce que sa société viticole demeure parmi les cinq meilleures du monde, rien de moins. Voilà pourquoi il tient beaucoup à conserver des ressources stratégiques. «J'ai quatre génies avec moi qu'on a essayés de m'enlever, mais qui sont soudés à l'entreprise» dont le chiffre d'affaires s'élève à quelque 10 millions d'euros.

De ses trois enfants, un a étudié en oenologie, une en marketing alors que le benjamin a encore quelques années devant lui pour trouver sa voie. Alain Brumont n'est pas prêt à leur céder les commandes avant qu'ils aient prouvé qu'ils sont à la hauteur du défi à relever.

Entre temps, s'ils choisissent de faire ou de vendre du vin, ils devront gravir un à un les échelons de l'entreprise. «Je fonctionne par compagnonnage», assure-t-il.

Et il a l'oeil, le pif et l'instinct du vigneron innovateur. Il accueille chaque année plusieurs stagiaires. «J'ai formé 150 jeunes dont une dizaine sont devenus grands, affirme-t-il. Dans ce métier-là, on y est ou on n'y est pas. Au troisième jour, j'ai classé le bonhomme.»

À sa tête

Et bien sûr, lui, il y est.

Après 15 ans de travail avec son père, il fait à sa tête dès qu'il se retrouve aux commandes. Des 17 hectares de Bouscassé initiaux, il tire une première cuvée de son cru en 1982, puis de Montus en 1985. Le succès critique est immédiat et la réputation d'Alain Brumont pousse à la hausse les prix des vins de l'appellation Madiran dont il possède ou exploite quelque 300 hectares et la grande majorité des plus belles parcelles. «Je suis un peu à Madiran ce que Guigal est à Côte-Rôtie», lance-t-il sans fausse modestie.

La grande intuition d'Alain Brumont aura été de croire au potentiel de Madiran et de miser sur des variétés de raisin propres au terroir particulier des côtes de Gascogne.

D'abord sur le tannat, un cépage négligé qui donnait un vin jugé trop lourd, mais qui voyageait sans additif. «C'était considéré comme un vin médecin qui servait à renforcer les cuvées d'appellations voisines dont celles du bordelais». Le vigneron, par de multiples essais, parvient à tirer le plein potentiel de ce cépage qui donne des vins à la robe sombre, au nez et aux arômes puissants.

Puis sur le petit courbu qu'il a réhabilité pour l'appellation Pacherenc du Vic Bilh qu'il a littéralement lancée avec le prestige du nom Château Montus blanc, un vin qu'il aime comparer aux hermitages blancs faits de roussanne et de marsanne.

Le Madiran est une région aride, toute en coteaux, négligée des vignerons pendant un demi-siècle par ce qu'elle se prêtait mal à la viticulture avant l'arrivée des tracteurs.

Le fougueux entrepreneur comprend que c'est un atout, car le sol n'avait pas subi les cultures intensives ni les effets d'additifs chimiques des autres appellations alors plus prestigieuses. «Le sulfate de cuivre, ça tue le sol au bout de 10 ans», rappelle-t-il.

Il soigne son terroir méticuleusement d'ailleurs: pas de labours entre les rangs de vigne. Il fauche après la floraison printanière des plantes sauvages de la région de manière à laisser le maximum de graines au sol qui nourrissent la vigne. Il ajoute aussi son compost (millésimé!) obtenu des moutons et des vaches des fermes voisines. Il lave même cuves et chais avec de l'eau de source.

Fort de ses succès, Alain Brumont ne s'est pas reposé sur ses lauriers. La pérennité de son entreprise passera autant par l'innovation que par le respect de la terre, à l'image de son travail.

Une fois qu'elle sera assurée, il pourra s'établir au Québec. «Quand je suis venu une première fois à Montréal, je n'aimais pas son architecture, confie-t-il. Aujourd'hui j'aimerais avoir une maison avec un escalier extérieur et surtout une grande cave pour accueillir des chefs, cuisiner et faire la fête.»