«Le constat, on est fort là-dedans. On en fait, des rapports. On constate. Chaque fois que je me rase le matin, j'écoute la radio et on en chiale un coup. Je ne suis pas en train de dire qu'on ne doit pas constater ou s'offusquer. Mais on peux-tu aller vers l'action?»

Charles Sirois en a assez. Assez d'un Québec qu'il juge trop tourné vers les ressources naturelles, où l'innovation, l'entrepreneuriat et la prise de risque ne font plus partie de la culture dominante.

L'entrepreneur à succès, qui a entre autres dirigé Téléglobe avant de se tourner vers le financement d'entreprises innovantes, a profité d'un discours prononcé hier devant le Cercle canadien de Montréal pour dénoncer le manque d'implication des Québécois dans le monde technologique en train de se construire sur la planète.

«On peut décider qu'on va creuser des trous dans notre sous-sol et qu'on va pomper tout ce qu'on a de ressources naturelles. On peut décider que c'est ce qui va assurer le futur de nos enfants et de nos petits-enfants», a-t-il dit.

Les conséquences de ce choix, selon lui?

«On ne sera peut-être pas dans la pauvreté totale, mais on ne sera pas dans la richesse non plus - ça, c'est l'évidence. Et on ne fera pas partie du mouvement auquel on assiste dans l'ensemble du monde où la véritable valeur est créée par la créativité, l'innovation et son utilisation.»

Parlons philosophie

Le président du conseil et chef de la direction de Télésystème a commencé son discours par des propos qu'il a lui-même qualifiés de «philosophiques».

Sa thèse: les progrès technologiques seront incontournables pour permettre aux sept milliards d'êtres humains qui peuplent maintenant la Terre d'y cohabiter. M. Sirois ne fait confiance ni aux gouvernements ni aux écologistes pour sauver la planète.

Sans renier les valeurs environnementales, Charles Sirois juge illusoire de penser que les consommateurs occidentaux modifieront suffisamment leurs habitudes pour générer des changements significatifs avant au moins deux générations. Sans compter que la population des pays émergents rêve de consommer depuis longtemps et ne se privera pas de l'occasion de le faire maintenant qu'elle se présente.

Quant aux États, «ils ne seront jamais proactifs. Ils sont réactifs», dit-il.

«Les changements technologiques sont notre seule chance», conclut-il. À cet égard, il ne se fait pas trop de mauvais sang.

«Les éléments de solution sont sur la table. Je suis relativement optimiste qu'à l'échelle globale, ils vont se déployer. Là où j'ai davantage un problème, c'est à l'échelle québécoise.»

Les sondages le montrent: moins de jeunes Canadiens que d'Américains caressent le rêve de créer des entreprises. Et les Québécois sont encore moins motivés à le faire que les autres Canadiens.

«Il me semble qu'on a perdu quelque chose. Nos ancêtres ont quand même défriché le continent. Ça prenait du guts. Maintenant, on recherche la certitude. On recherche le confort. On fait beaucoup de constats, mais on ne passe jamais à l'action. On regarde les choses se faire», dénonce-t-il.

Les solutions? M. Sirois admet qu'elles ne sont pas évidentes. La décision de refuser le statu quo et de lancer quelque chose est un phénomène individuel. Mais le gouvernement, l'école et les médias ont le devoir d'encourager ces initiatives.

«Il faut créer une société qui valorise les gens capables de transformer des idées en réalités», dit-il.

Avec du nouveau capital disponible pour financer les innovations et une industrie qui semble plus organisée, plusieurs observateurs croient que le monde de l'innovation québécois connaît actuellement un nouveau dynamisme. Mais pour M. Sirois, le problème fondamental de créer une vraie culture entrepreneuriale ici demeure entier.

«Oui, ça va dans la bonne direction, mais ce n'est pas au niveau où on veut aller, dit-il. Le changement est loin d'être assez significatif.»

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Charles Sirois et le soutien à l'entrepreneuriat

Charles Sirois est président du conseil et chef de la direction de Télésystème, un ancien groupe de télécoms aujourd'hui actif dans le lancement et le financement d'entreprises techno. M. Sirois est aussi membre fondateur et président du conseil d'Enablis Réseau Entrepreneurial, un organisme à but non lucratif qui encourage les entrepreneurs dans les pays en voie de développement. Il est aussi associé fondateur de Tandem, un fonds qui investit du capital de croissance dans des entreprises technologiques prometteuses.