Au beau milieu du boom pétrolier de 2008, l'Alberta a manqué de travailleurs, au point où des restaurants de fast-food ont dû éteindre leur friteuse. Au Québec, des signes de pénurie apparaissent dans certains secteurs, comme les mines et l'aérospatiale. Avec le vieillissement de la population, il n'en faut pas plus pour craindre le pire, c'est-à-dire une économie en panne, faute de travailleurs.

Pas si vite, prévient André Grenier, économiste et spécialiste du marché du travail à Emploi-Québec. «J'ai beaucoup de difficulté à parler de pénurie de main-d'oeuvre quand il y a 350 000 personnes à la recherche d'un emploi», rectifie-t-il.

 

Les pénuries et les excédents de main-d'oeuvre ont toujours existé dans le marché du travail, explique le spécialiste.

Les entreprises qui se plaignent de ne pas pouvoir recruter les travailleurs dont elles ont besoin peuvent toujours améliorer leurs conditions de travail et augmenter les salaires pour convaincre la main-d'oeuvre disponible de venir travailler chez elles. «Les entreprises qui se plaignent le plus sont souvent celles qui paient le moins, comme dans le commerce de détail», souligne André Grenier.

Certains secteurs jugés cruciaux pour l'économie, comme les mines et l'aérospatiale, ont déjà lancé des signaux d'alarme. L'industrie minière, par exemple, a songé en 2008 à faire venir des mineurs de Tunisie. La récession et l'effondrement du prix des métaux de base qui l'a accompagnée ont fait disparaître le problème.

Dans les deux cas, on ne peut pas parler de pénurie de main-d'oeuvre. «Ce sont deux industries dont les besoins varient avec la conjoncture économique. Des pénuries conjoncturelles, ça va toujours exister», dit André Grenier.

Les régions, qui se plaignent depuis longtemps d'être boudées par les immigrants ne font pas toujours ce qu'il faut pour les attirer, souligne aussi l'économiste. «Je l'ai déjà dit à des gens d'affaires de Saint-Georges de Beauce. Chez vous, quelqu'un qui vient du village d'à côté est un étranger alors comment voulez-vous qu'un immigrant se sente chez lui?» raconte André Grenier.

Le marché se resserre

Le recours croissant aux travailleurs étrangers saisonniers, pour la cueillette des fruits et légumes d'abord, puis pour combler des besoins dans les usines, n'est pas non plus un signe de pénurie, selon le spécialiste. «Ça veut simplement dire que les gens d'ici ne sont pas intéressés à ce type d'emplois ou que les entreprises ne sont pas intéressées à embaucher les gens d'ici» (en augmentant les salaires, par exemple).

Selon lui, le filet dont le Québec s'est doté ne nuit pas au marché du travail. «Notre filet social est meilleur que dans les années 70 et le taux de chômage est plus bas.»

Le marché du travail fonctionne relativement bien au Canada et au Québec, selon André Grenier. Mais il montre des signes évidents de resserrement auquel les entreprises devront s'ajuster.

Cet ajustement est déjà commencé dans certains secteurs d'activités, comme le commerce de détail, qui recrute de plus en plus de têtes blanches. La population active de 65 ans a commencé à augmenter et cette croissance se poursuivra. «Près de 40% de la main-d'oeuvre de 2007 à 2017 proviendra des 65 ans ou plus», prévoit l'économiste.

Les entreprises aux prises avec des problèmes de recrutement auront toujours le choix de payer mieux leurs employés et de réduire leurs exigences. «Plutôt que de chercher à embaucher une personne qui a moins de 30 ans, un diplôme universitaire et qui parle cinq langues, elles devront se contenter de moins», illustre-t-il.

La plupart des économistes croient que le manque de main-d'oeuvre finira par ralentir la croissance économique. Pas nécessairement, estime André Grenier. «Ce n'est pas un McDo qui ferme en Alberta, qui cause du tort à l'économie de la province.»

De même, ce ne sera une catastrophe si un magasin de chaussures ferme dans un centre commercial qui abrite déjà trois autres marchands de godasses.

Le marché du travail va fonctionner autrement. La main-d'oeuvre sera utilisée de façon plus efficace, prévoit-il. C'est déjà commencé, avec l'apparition des caisses libre-service dans les supermarchés et des bornes distributrices de titres de transport dans les aéroports.