L'entreprise Saputo (T.SAP) et son président, Lino Saputo, ont un important litige avec Revenu Québec, a appris La Presse Affaires. Le dossier concerne une facture d'impôts de plus de 15 millions de dollars qu'aurait évitée Saputo en ayant recours à un montage financier en Alberta.

Le litige en Cour du Québec est passé inaperçu, l'été dernier. Il a refait surface à la fin de novembre, lorsque le ministère du Revenu a demandé au tribunal de regrouper cinq dossiers qui portent sur la même affaire.

Le litige survient au moment où la famille Saputo a bénéficié d'une subvention de 23 millions du gouvernement du Québec pour l'agrandissement du Stade Saputo. Ce projet permet l'accession de l'Impact de Montréal à la Major League Soccer, qui a nécessité un investissement de plus de 40 millions de la famille Saputo.

La genèse du litige fiscal remonte à mai 2006. À l'époque, le ministre du Revenu, Lawrence Bergman, avait révélé que des dizaines d'entreprises du Québec avaient eu recours à des montages financiers hors Québec pour contourner la Loi sur les impôts. Parmi ces entreprises, mentionnons Reitmans, Couche-Tard, Transcontinental et Saputo.

Sans être frauduleux, le stratagème appelé «Truffle» avait été qualifié d'évitement fiscal ou de «planification fiscale agressive». Par la suite, des modifications à la Loi avaient été apportées pour recueillir rétroactivement les impôts éludés par ce système utilisant des fiducies. À ce jour, 190 des 197 fiducies ciblées par Revenu Québec ont réglé leur dû, permettant au Ministère d'empocher 230 millions de dollars.

Parmi les sept fiducies restantes figure celle de l'entreprise Saputo, appelée la fiducie FMB-IB. Elle est gérée par Lino Saputo et deux autres fiduciaires.

À l'été 2006, donc, la fiducie Saputo a reçu une série de réclamations de Revenu Québec qui excèdent 15 millions avec les intérêts. Saputo a déposé une contestation en Cour du Québec l'été dernier.

Essentiellement, ces réclamations visent les impôts évités au Québec dans le contexte d'un prêt de 341 millions fait par une filiale albertaine de Saputo à la fiducie Saputo. Le prêt a été fait en 2001 pour financer l'acquisition des entreprises Armstrong Cheese Company et DairyLand Fluid Division, selon la requête en Cour du Québec.

Ce prêt a permis à la fiducie de récolter des intérêts de plusieurs dizaines de millions de dollars sur quatre ans sans être imposée. Ce sont ces revenus d'intérêts que le Ministère veut imposer.

Dans sa contestation en cour, la fiducie Saputo soutient que les démarches de Revenu Québec sont inconstitutionnelles, puisqu'elles visent des entreprises à l'extérieur du territoire québécois. La réplique en cour de Revenu Québec n'a pas encore été déposée.

La Presse Affaires a cherché à avoir des commentaires de Revenu Québec, mais sans succès. François Barrette, avocat de Davies Ward Philips & Vineberg pour le compte de la fiducie Saputo, n'a pas voulu commenter. Pas plus que la porte-parole de Saputo, Karine Vachon.

L'affaire des «Truffle» de 2006 a été l'un des déclencheurs qui ont poussé le gouvernement du Québec à adopter une loi pour contrer les «planifications fiscales agressives (PFA)». La loi a finalement été entérinée en octobre 2009.

Les PFA sont des opérations d'évitement fiscal qui respectent la lettre de la loi, mais non l'esprit. Pour contrer ce phénomène, par ailleurs mondial, le gouvernement a instauré une série de mesures coercitives.

D'abord, tout stratagème fiscal offert par des promoteurs avec comme condition qu'il demeure confidentiel ou encore dont la rémunération est fonction du succès de l'opération doit être dévoilé au Ministère, sous peine d'amende allant jusqu'à 100 000$.

Deuxièmement, le contribuable qui participe à une PFA est maintenant passible d'une amende équivalente à 25% de l'impôt éludé. Enfin, la Loi accorde à Revenu Québec trois ans de plus pour détecter de telles PFA à partir de l'année de la déclaration du contribuable. Ce délai s'ajoute à la période normale de trois ou quatre ans.

Québec espère que ces mesures lui permettront de récupérer 50 millions de dollars d'impôts de plus par année.