«Assoyez un singe devant une machine à écrire et le hasard permettra peut-être qu'il écrive Roméo et Juliette de Shakespeare, mais c'est peu probable.»

Voilà comment débute le fabuleux jugement de 240 pages sur l'affaire Robinson-Cinar paru cette semaine. Le juge Claude Auclair reprend ainsi l'une des déclarations du Dr Charles Perraton durant le procès, l'expert du camp Robinson qui a trouvé des similitudes frappantes entre l'oeuvre du dessinateur, Robinson Curiosité, et le dessin animé de Cinar, Robinson Sucroë. Le Dr Perraton citait le sémiologue Umberto Eco.

 

Pour gagner son procès, Claude Robinson a mené une enquête monstre et vécu 14 ans de tractations juridiques et une longue dépression. Le procès a nécessité 40 témoins, 20 765 pages de documents, 23 interrogatoires préalables, 53 heures de visionnage d'épisodes et un voyage du tribunal québécois en France.

Le jugement comprend plusieurs passages percutants que les médias n'ont pu reprendre. Voici certains de ces éléments que nous avons mis en contexte.

1- Boum Boum et Les Pierrafeu

Dans Robinson Sucroë, le présumé auteur Christophe Izard a baptisé l'un de ses personnages Gertrude Van Boum Boum. Le juge trouve étonnant que ce personnage porte le même nom que celui de deux des personnages de Claude Robinson dans Robinson Curiosité, soit Gertrude et Boum Boum.

À ce sujet, trois versions différentes sont offertes par Izard au tribunal pour justifier son inspiration. Dans un premier témoignage, il affirme que ce personnage lui a été inspiré par une chanson d'Henri Salvador. Durant le procès, une lettre déposée à la demande d'Izard en attribue plutôt l'origine au clown Boum Boum, de Médrano.

Enfin, en janvier 2009, Izard affirme maintenant au tribunal que le nom a pris son origine de la série Les Pierrafeu. Sur cette version, toutefois, le défendeur commet tout un impair.

En effet, en contre-interrogatoire, Izard démontre qu'il reconnaît bel et bien les personnages de la série The Flintstones adaptée pour le marché de la France, notamment Boum-Boum. Le problème, c'est que Boum-Boum n'existe pas dans l'adaptation française. Ce n'est qu'au Québec que le fils d'Arthur Laroche s'appelle Boum-Boum... En France, il s'agit de Bam-Bam.

Le personnage Boum-Boum est au coeur d'un autre élément de preuve singulier. Pour décrire ce personnage, Claude Robinson parlait du «pachiderme» de la série Curiosité (qui a la démarche lourde comme un éléphant). Or, un personnage semblable de Sucroë est non seulement décrit aussi avec ce vieux mot, mais le texte reprend en plus la faute d'orthographe de Claude Robinson, qui l'a écrit avec un «i» plutôt qu'un y (pachyderme) ...

2- Le rapport douteux de l'experte

Pour contredire la poursuite, Cinar a fait analyser les deux oeuvres par Louise Dansereau, qualifiée d'experte en analyse d'émissions pour enfants. Or, au terme du procès, le juge conclut qu'il ne peut se fier ni à son rapport ni à son témoignage.

D'abord, Louise Dansereau a connu intimement le couple Micheline Charest-Ronald Weinberg. Au début des années 1990, écrit le juge, «elle a été l'une des 50 personnes invitées à une réception au chalet du couple pour fêter le 40e anniversaire de naissance de M. Weinberg».

Ensuite, le rapport Dansereau a été torpillé par le clan Robinson. Premièrement, on apprend durant le procès que son rapport a été produit six mois après qu'elle eut visionné les épisodes de Sucroë. Rien n'a été fait dans l'intervalle.

Deuxièmement, le juge se demande si Mme Dansereau a bien préparé seule une partie de son rapport ou si elle l'a fait sous la supervision de l'avocat de Cinar-Weinberg, Jean-Philippe Mikus. En effet, selon son relevé de deux factures, le tribunal constate que 54% des 57 heures facturées ont été passées en compagnie de Me Mikus, soit «presque trois fois plus de temps que ce que Mme Dansereau a facturé pour l'analyse et le visionnage de Sucroë».

«Quelqu'un d'autre a-t-il préparé ce chapitre?» se demande le juge.

3- Izard au coeur des prête-noms

Le procès a mis à rude épreuve la réputation de Christophe Izard. D'abord, on note qu'il a écrit une fausseté dans son CV. Il se disait en 1991 directeur artistique de France Animation alors qu'il n'était que pigiste à l'époque.

Ensuite, le juge conclut qu'Izard a participé à la production de documents antidatés de Cinar, c'est-à-dire des documents produits à un moment dans le temps, mais auxquels on a inscrit une date antérieure.

Ces documents sont d'ailleurs au coeur du premier scandale sur Cinar: l'affaire des prête-noms. Ce stratagème avait pour but, rappelons-le, de permettre à Cinar de récolter illégalement des droits d'auteur sur une production comme Sucroë même si de tels droits ne doivent être versés qu'à des personnes et non à des sociétés.

Pour toucher ces droits, on a demandé à la soeur de Micheline Charest, soit Hélène Charest, de faire comme si elle avait écrit des scénarios en utilisant le nom d'Érica Alexandre. Cette Érica Alexandre versait ensuite secrètement l'essentiel des redevances à une entreprise du couple Charest-Weinberg ou à Cinar. Micheline Charest a appelé ce stratagème «wash».

Au terme du procès, le juge conclut que Chistophe Izard était la courroie de transmission de l'opération wash. Et il ne pouvait ignorer l'illégalité du procédé, écrit le juge, «ayant déjà siégé lui-même au conseil d'administration de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)».

Izard, qui a été décoré en France de la Légion d'honneur, a longtemps nié qu'il connaissait Érica Alexandre, une chose impossible puisqu'il avait cosigné des scénarios avec cette présumée auteure. Dans les faits, il a été démontré qu'il connaissait les vrais auteurs derrière Érica Alexandre depuis le début de l'arnaque.

4- Claude Robinson? Connais pas.

En octobre 1993 et en octobre 1995, Micheline Charest a nié connaître Claude Robinson ou son projet Robinson Curiosité, notamment auprès de la GRC. Ce n'est finalement qu'en novembre 1995 que l'homme et son projet reviennent vaguement à la mémoire du couple Charest-Weinberg.

Pourtant, des témoins racontent avoir travaillé étroitement sur le projet avec Claude Robinson, Micheline Charest et Ronald Weinberg. «Leur persistance à ne pas reconnaître Claude Robinson est un autre camouflage de leur tricherie», écrit le juge.

Par ailleurs, il ressort du témoignage de l'ex-directeur du développement de Cinar, Peter Sander, que Micheline Charest avait conservé des épreuves de l'oeuvre de Claude Robinson et qu'elle s'en serait inspirée pour influer sur la création de Robinson Sucroë.

La scène se déroule en 1993. Micheline Charest montre des épreuves de Sucroë à Peter Sander, mais ce dernier les qualifie de «merde (crap)». Puis, elle sort de son classeur deux autres dessins et, cette fois, Peter Sander est ébloui. En interrogatoire, M. Sander affirme avoir reconnu les dessins de Claude Robinson.

En somme, c'est une foule d'éléments qui ont incité le juge à tirer des conclusions sévères de cette affaire. «La conduite des affaires de Charest, Weinberg et Izard est basée sur la tricherie, le mensonge et la malhonnêteté. (...) L'objectif de l'octroi de dommages punitifs est de prévenir des cas semblables et de punir ces bandits à cravate ou à jupon, afin de les décourager de répéter leur stratagème et sanctionner leur conduite scandaleuse, infâme et immorale.»