La fracture Nord-Sud sert normalement à décrire la différence entre les économies développées et celles des pays pauvres. Un économiste vient de lui trouver une nouvelle application: expliquer les modèles économiques différents des régions du Québec.

Cette fracture, soulignée par Mario Polèse de l'INRS Urbanisation, prend une dimension tangible quand on compare le salaire des hommes qui y travaillent: mieux payés au Nord... mais dans une économie plus dynamique au Sud!

 

Commençons par les salaires. Voici les sept villes où les salaires masculins étaient les plus élevés en 2005: Baie-Comeau, Sept-Îles, Rouyn-Noranda, Sorel-Tracy, Saguenay, Dolbeau-Mistassini et Alma. Les hommes de ces régions - les femmes ont été exclues pour des raisons méthodologiques - gagnent entre 15% et 38% de plus que les hommes du reste du Québec. Les hommes montréalais se contentent de 7% de plus que leurs compatriotes, en comparant les salaires médians régionaux.

Voici maintenant les sept villes aux salaires les plus bas - la boussole se déplace clairement vers le Sud: Thetford Mines, Saint-Georges, Victoriaville, Cowansville, Matane, Drummondville et Lachute. Les hommes y rapportent à la maison un pactole de 10% à 14% plus petit que dans le reste du Québec.

«À l'intérieur du Québec, c'est la coupure Nord-Sud qui fait la différence ou, plus précisément, la distinction entre les économies locales axées sur de grandes industries tributaires des ressources naturelles (dont l'énergie hydro-électrique) et les économies locales axées sur des PME manufacturières plus diversifiées», écrit M. Polèse, dans le Panorama des régions du Québec, publié par l'Institut de la statistique du Québec.

Avantage au sud

En se fiant seulement aux salaires, le portrait semble être à l'avantage des régions dépendantes de grandes entreprises.

La situation est plus complexe. «La croissance est beaucoup plus forte au sud», souligne M. Polèse au téléphone. En fait, écrit-il, «non seulement l'entrepreneur en puissance à Alma est-il plus loin du marché américain que son cousin de Cowansville, et sans les avantages de la proximité d'une grande ville, mais en plus doit-il naviguer dans un marché local de travail où les attentes salariales sont sensiblement plus élevées».

Le soudeur du Saguenay, illustre-t-il, s'attendra à recevoir un salaire élevé s'il est employé dans une PME: ses voisins ont droit aux salaires et avantages sociaux offerts par Rio Tinto Alcan.

Le chercheur reconnaît lui-même qu'il n'est pas politiquement correct de voir comme un avantage les plus bas salaires. Mais, ajoute-t-il, «c'est précisément parce que salaires sont plus bas dans le Sud que c'est plus intéressant dans le Sud», dit-il.

Pourquoi aussi bas? Pour M. Polèse, qui a déjà écrit sur le sujet, la question linguistique joue clairement un rôle. «La frontière linguistique a pour effet de réduire la mobilité de la main-d'oeuvre francophone ce qui, du point de vue de certaines entreprises, comporte deux avantages: elle réduit le rayon des repères salariaux des travailleurs et rend la main-d'oeuvre plus stable.»

Sa région du sud comporte toutefois des zones «nordiques»: à Sorel-Tracy, Trois-Rivières et à Valleyfield, les salaires masculins sont aussi plus élevés qu'à Montréal. «De telles zones industrielles connaissent plus de difficultés à se recycler, par opposition à des zones avec un héritage d'industrie légère ou de PME. Le défi est autant social qu'économique dans des collectivités marquées par une vieille tradition syndicale et par de grands patrons protecteurs.»

Un avenir

Contrairement à d'autres économistes qui misent peu sur le secteur manufacturier dans les économies développées, Mario Polèse estime qu'il a un avenir. «Nos exportations vers les États-Unis ou l'extérieur, c'est de 75% à 80% des biens fabriqués», rappelle-t-il.

Et plus le tissu industriel est diversifié, mieux c'est. D'ailleurs, la bonne performance relative de l'économie québécoise dans la récession actuelle trouve sa cause dan la diversification, selon lui. «Prenez quelques villes du sud du Québec et comparez-les à des villes du sud de l'Ontario...»