Vincent Lacroix attendra son procès criminel pour fraude dans le confort bien relatif d'une maison de transition. Au terme d'une audience qui s'est tenue pendant la journée d'hier en Cour supérieure, et qui a mené à de tortueuses réflexions, le juge Richard Wagner a accepté de mettre en liberté le fondateur du tristement célèbre Norbourg.

«Il faut se garder de condamner l'accusé à ce stade, même si l'infraction est très sérieuse», a dit le juge, en s'appuyant sur la présomption d'innocence. Le juge Wagner se retrouvait devant un dilemme, à cause du «chevauchement des instances pénale et criminelle», ce qu'il a d'ailleurs relevé à quelques reprises au cours de l'audience. «C'est le monde à l'envers... C'est censé être la règle que le procureur général dispose des accusations avant. On doit vivre avec ça», a-t-il dit, en faisant allusion au fait que Lacroix, qui n'a toujours pas de dossier criminel, a été jugé dans un procès pénal intenté par l'Autorité des marchés financiers avant de subir un procès criminel. «Si le procès criminel avait eu lieu avant, M. Lacroix aurait eu une liberté sous cautionnement», a-t-il signalé. Ce que faisaient d'ailleurs valoir les avocats de l'accusé, Marie-Hélène Giroux et Clemente Monterrosso.

Procès criminel

Rappelons que Lacroix doit avoir un procès criminel avec cinq coaccusés en septembre, sous 200 accusations de fraude, de complot et de blanchiment d'argent, dans le cadre de l'affaire Norbourg. Mais voilà, il a déjà été déclaré coupable de 51 accusations en décembre 2007, au terme du procès pénal que lui a intenté l'Autorité des marchés financiers, également pour l'affaire Norbourg. Il a purgé le sixième de sa peine de huit ans et demi de prison, ce qui le rend admissible à une semi-liberté conditionnelle.

En principe, il devait jouir de cette semi-liberté depuis le 29 juin dernier. Seul obstacle: il n'avait jamais demandé sa mise en liberté dans son dossier criminel, étant donné qu'il était déjà en prison en juin 2008, quand les accusations ont été portées contre lui. Maintenant qu'il pourrait jouir d'un certain élargissement, cette libération est essentielle.

Lacroix, qui a beaucoup maigri depuis son incarcération, a expliqué ce que signifiait cette semi-liberté. «On m'a proposé une stratégie communautaire entre le sixième et le tiers de ma peine. Faire du bénévolat auprès des défavorisés, pour me faire prendre conscience des conséquences et me faire voir la pauvreté», a-t-il résumé. Pour les neuf premiers mois de cette libération, Lacroix sera en maison de transition fermée, c'est-à-dire qu'il ne pourra sortir que pour aller faire du bénévolat entre 9h et 16h. Les neuf mois suivants, il serait en maison de transition régulière. Au bout de ces 18 mois, il aurait purgé le tiers de sa peine de huit ans et demi, et normalement il obtiendrait sa vraie liberté.

Évidemment, c'est sans compter une éventuelle condamnation dont il pourrait écoper au terme de son procès en septembre.

La confiance du public

Le procureur de la Couronne Serge Brodeur s'est vivement opposé à la mise en liberté de Lacroix, hier, au motif que cela minerait la confiance du public dans l'administration de la justice. Me Brodeur a fait témoigner un unique témoin, le policier de la GRC Yves Roussel, qui a enquêté sur Norbourg en 2005. Lacroix avait fondé cette société en 1998. Il a rappelé que les fraudes de Lacroix consistaient en 112 détournements de fonds qui totalisaient environ 100 millions de dollars. On compte 9000 victimes, pour la plupart de petits épargnants, qui ont été floués entre 2002 et 2005.

L'enquêteur, qui a rencontré Lacroix à plusieurs reprises, a signalé que ce dernier était toujours loquace, qu'il admettait ses gestes, mais se justifiait en se présentant lui-même comme une victime, notamment d'un «trou de 20 millions» avec l'achat des fonds Évolution.

Lacroix, qui est en faillite, affirme qu'il n'a plus d'argent, ni au Québec, ni ailleurs. Il dit être en contact de façon irrégulière avec son épouse, pharmacienne. C'est son père, lui aussi en faillite, qui est venu signer les papiers de la caution au palais de justice, en fin de journée, hier. Le juge a exigé un dépôt de 5000$ et un engagement à hauteur de 50 000$. La Couronne veut examiner le jugement avant de décider si elle interjettera appel.