La commission parlementaire chargée de faire la lumière sur les résultats catastrophiques de la Caisse de dépôt et placement en 2008 s'est ouverte hier. Les premiers témoins ont été entendus, dont Richard Guay, qui a fait un passage éclair à la présidence de la Caisse.

Pendant trois semaines, à partir de la fin de juillet 2007, la Caisse de dépôt a acheté des papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA), même si, dans les marchés financiers, on avait tiré l'alarme pour se retirer rapidement de ces placements risqués.

Les témoignages surprenants se sont succédé hier à la commission parlementaire qui commençait ses deux semaines de travaux pour scruter les causes des résultats catastrophiques de la CDP en 2008, marqués par des pertes historiques de 40 milliards de dollars.

Dans sa première déclaration publique après son passage éclair à la barre de la Caisse de dépôt, Richard Guay a expliqué qu'il avait choisi de prendre du repos, en pleine crise financière, plutôt que de courir le risque de commettre des erreurs lourdes de conséquences à cause de la fatigue.

Tant M. Guay que Claude Bergeron, vice-président aux affaires juridiques de la CDP, ont expliqué que, comme la Caisse avait acheté ces créances toxiques d'une vingtaine d'émetteurs différents, avec chacun moins de 3% du portefeuille, elle tenait pour acquis qu'elle était à l'abri des mauvaises surprises. Ainsi divisés, les 22 milliards investis à un moment donné dans ces produits «étaient passés sous le radar», a expliqué Me Bergeron. Or, reconnaît-il maintenant, personne n'avait pensé qu'une crise des liquidités pouvait, d'un coup, frapper l'ensemble de ces titres similaires.

Pas de réponses

M. Guay n'avait pas de réponse aux questions du député péquiste François Legault, qui a observé que, du 7 au 10 août 2007, la Caisse avait acheté pour 893 millions en papiers commerciaux non bancaires. La CDP savait pourtant dès le 18 juillet que ces produits étaient sérieusement problématiques. Pire encore, la CDP a alors vendu des papiers commerciaux émis par les institutions bancaires - qui seront couverts par les émetteurs - et augmenté sa position dans les produits émis par les firmes bien moins solides financièrement. Les membres du conseil d'administration n'ont rien vu venir avant la débâcle; ces transactions, ainsi morcelées dans une vingtaine d'institutions, faisaient partie des opérations quotidiennes.

Pour M. Guay, cet épisode des papiers commerciaux est à la source des déboires de la Caisse en 2008: sur les 13 milliards qu'elle n'est pas parvenue à vendre à temps, il a fallu provisionner des pertes de 6 milliards. «Sans les papiers commerciaux, on ne serait pas ici», a dit M. Guay aux députés. François Legault n'est pas d'accord: «C'est trop facile de tout ramener aux papiers commerciaux. Il y avait une dérive, le message du gouvernement Charest était de faire du rendement.»

Dans la crise des PCAA, la Caisse ne savait pas exactement ce qu'elle achetait. «Il n'y avait pas une connaissance totale, transparente des produits sous-jacents (sur lesquels s'appuyaient ces papiers)», a indiqué Me Bergeron. Il a décrit le mouvement de «panique» qui s'est emparé des marchés à l'endroit de ces produits, dès le 18 juillet 2007. Richard Guay a été informé le 6 août, et le grand patron, Henri-Paul Rousseau, le 9. Le lendemain, une réunion d'urgence était convoquée et on a alors décidé de freiner brusquement pour réduire l'ampleur des placements de la Caisse dans ces produits.

La Caisse est passée de 22 à 16 milliards de ces produits empoisonnés entre le 1er et le 31 août. Mais elle s'est départie de 10 milliards en papiers bancaires, qui s'avéreront couverts par les émetteurs, pour se replier vers les produits plus vulnérables. La distinction à l'époque n'existait pas, a fait valoir M. Guay.

Au début de la crise d'ailleurs, les opinions étaient partagées sur la valeur réelle de ces placements, a relevé Me Bergeron. «Certains investisseurs et DBRS (la Dominion Bond Rating Service) étaient réconfortants», a-t-il rappelé.

Sabia est contredit

Le nouveau patron de la CDP, Michael Sabia, a soutenu la semaine dernière que la Caisse avait pris trop de risques, ce qui expliquait la catastrophe de 2008. Richard Guay et Fernand Perreault, qui l'avait remplacé par intérim, ont été bien plus nuancés.

Pour M. Perreault, la Caisse aurait présenté des résultats respectables, n'eût été «la dislocation des marchés» survenue à l'automne 2008. Les changements apportés en 2004 par le gouvernement libéral à la loi sur la Caisse n'ont pas modifié ses politiques de placement, a-t-il insisté.

Surtout, la Caisse n'a pas pris plus de risques que les autres fonds de placement jusqu'en 2008, selon lui.

Pour Richard Guay, la CDP n'a pas pris des décisions en 2008 qui augmentaient le risque. La tempête qui a frappé les marchés a bien sûr rendu les titres plus volatils, et en octobre 2008, les dirigeants de la Caisse ont décidé de vendre massivement des titres pour ramener le risque à des niveaux plus acceptables.

Mais, a souligné Me Guay, même avec l'année 2008 et l'erreur des papiers commerciaux, la Caisse a eu, sur cinq ans, un rendement moins volatil que les autres fonds de retraite comparables. Le risque des placements de la Caisse jusqu'en juin 2008 était même inférieur à ce qu'il était en 2002, a-t-il expliqué. «La comparaison historique illustre que le risque réalisé du portefeuille de la Caisse a été inférieur au risque médian des pairs», indique le document déposé par la CDP.

Tous les députés libéraux présents - le ministre des Finances, Raymond Bachand, ne sera là que pour la clôture des travaux, la semaine prochaine - ont permis à M. Perreault de mettre en relief que les changements à la loi en 2004 touchaient la gouvernance de l'organisme, et non ses stratégies de placement.

Selon M. Perreault, le parc immobilier de la CDP se compare avantageusement à ceux des autres fonds de retraite, mais l'obligation d'en inscrire la valeur, théorique, au 31 décembre, a contribué à creuser le déficit de la CDP pour l'an dernier.

La Caisse a annoncé il y a deux semaines la disparition d'un portefeuille de «répartition d'actifs», responsable de pertes de 2 milliards en 2008. Le critique péquiste aux Finances, François Legault, a indiqué que ce fonds empruntait largement pour investir sur les marchés boursiers, plus de 80 fois les liquidités réelles, a-t-il soutenu. Fernand Perreault a refusé de rendre publique une étude commandée par la caisse à Price Waterhouse, sur la gestion de risque. Des informations sensibles se trouveraient disponibles pour les concurrents: «Je ne publie pas le code de mon système d'alarme», a-t-il soutenu.