Alors que les négociations en vue de la modernisation de l'ALENA arrivent à un stade critique, des documents obtenus par La Presse révèlent qu'Ottawa a procédé à un ciblage pointu pour séduire des gens d'affaires de régions pro-Trump, pendant une visite au Canada en novembre dernier.

Les notes internes détaillent une visite de deux jours organisée à la frontière canado-américaine et à Montréal pour 16 dirigeants de chambres de commerce du nord-est des États-Unis. Plusieurs d'entre eux provenaient de districts « qui ont voté de façon très majoritaire pour Trump », précise le document du ministère des Affaires étrangères.

Cette tournée constituait un « élément critique » de l'offensive de charme lancée par le gouvernement canadien en vue de rescaper l'Accord de libre-échange nord-américain. La visite visait à offrir une « meilleure compréhension de l'intégration canado-américaine en matière d'économie et de commerce, ainsi que des bénéfices de l'ALENA pour les États-Unis ».

« Les rencontres avec des parties prenantes canadiennes et des officiels du gouvernement procureront aussi une excellente occasion de livrer des messages-clés concernant l'importance de l'ALENA pour le nord-est des États-Unis », révèlent les notes du ministère des Affaires étrangères, obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

59 participants

Parmi les évènements organisés dans le cadre de cette tournée de deux jours, Ottawa a tenu le 15 novembre dernier une réception dans un restaurant de l'hôtel Bonaventure, au centre-ville de Montréal. Une soixantaine de convives devaient y participer, incluant David Lametti, Secrétaire parlementaire du ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique et Raymond Bachand, le négociateur en chef de l'ALENA de Québec.

Les participants américains à la mission - qui représentaient des centaines d'entreprises du Vermont, de New York, de Pennsylvanie et du New Jersey - ont pris part le lendemain à un dîner où étaient notamment présents des représentants de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Ils ont ensuite visité une usine de Pratt & Whitney, à Longueuil, et les bureaux de l'entreprise techno Element AI.

Les coûts totaux de cette mission se sont avérés minimes pour le gouvernement fédéral : à peine 6078 $. Les notes internes soulignent que le gouvernement a obtenu plusieurs soumissions pour chaque évènement en vue de limiter la facture totale.

Efforts coordonnés

Chose certaine, Ottawa n'a pas ménagé ses efforts pour sauvegarder l'ALENA depuis que Donald Trump a menacé de déchirer l'accord commercial, l'an dernier. Des ministres-clés du gouvernement Trudeau ont multiplié les voyages aux États-Unis en vue de convaincre les élus et gens d'affaires de plusieurs États des bénéfices de l'entente. La Chambre de commerce du Canada a aussi martelé ce message à des dizaines de reprises.

Ottawa a également publié des lignes directrices à l'intention de chaque province et territoire pour s'assurer que tous parlent d'une seule et même voix, rapportait la semaine dernière La Presse canadienne. Le gouvernement fédéral a notamment suggéré aux provinces de présenter la renégociation de l'ALENA comme une occasion de faire « progresser » la relation entre les trois pays membres de l'accord.

Plusieurs observateurs ont salué les nombreux efforts coordonnés par la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, qui auraient permis de garder le gouvernement récalcitrant de Donald Trump à la table de négociation.

Freeland à Washington

La ministre Freeland se trouve d'ailleurs à Washington cette semaine pour un autre sprint de pourparlers avec ses homologues américain et mexicain. Elle restera dans la capitale des États-Unis au moins jusqu'à demain, a appris La Presse.

En point de presse avec des journalistes à Washington, Mme Freeland a évoqué hier des « avancées dans les discussions sur les règles d'origine » dans le secteur automobile. Le gros des discussions de cette semaine vise à réaliser des progrès dans ce dossier.

Plusieurs points d'achoppement demeurent toutefois dans les pourparlers, a confirmé une source proche des négociations. Les trois parties ne s'entendent toujours pas sur la clause de temporarisation (clause « crépusculaire ») demandée par Washington - qui entraînerait une expiration automatique de l'ALENA -, de même que sur le chapitre 19, qui touche le mécanisme de règlement des différends.

Les autorités américaines espèrent conclure un règlement sur le renouvellement de l'ALENA avant le 18 mai, en raison des élections de mi-mandat de l'automne prochain aux États-Unis et du scrutin au Mexique le 1er juillet prochain. Ottawa rappelle ne jamais avoir fixé d'échéancier pour cette négociation, imposée dès le départ par l'administration Trump.

- Avec William Leclerc

PHOTO ALFREDO ESTRELLA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Chrystia Freeland