Les chefs d'État et de gouvernement du G20 ont adopté définitivement le plan de lutte contre l'évasion fiscale des multinationales, mis sur pied par l'OCDE, selon le communiqué final de leur sommet d'Antalya en Turquie.

Le G20 a souligné qu'il était «crucial» que ce projet connaisse une «mise en oeuvre large et cohérente», en particulier sur le sujet délicat des accords entre administrations fiscales et multinationales (tax rulings).

Les dirigeants des vingt plus puissantes économies du monde ont par ailleurs «encouragé» les pays en développement à rejoindre le mouvement, en réponse aux critiques des ONG notamment, qui reprochent aux pays riches de négocier en cercle fermé.

Le G20 a confié à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a conçu le plan d'action, le soin de «surveiller (sa) mise en oeuvre» et de mettre en place une «structure» à cet effet dès le début de l'année prochaine.

Les chefs d'État et de gouvernement réunis en Turquie ont aussi répété leurs engagements des dernières années sur la coopération entre administrations fiscales, avec pour objectif de mettre en place des systèmes d'échange automatique d'informations dès 2017 et au plus tard avant la fin 2018.

Le plan de l'OCDE, censé empêcher les grandes multinationales de contourner l'impôt grâce à des stratégies comptables sophistiquées, prévoit par exemple d'obliger les entreprises à détailler leurs résultats et leur charge fiscale pays par pays. Il doit aussi déboucher sur un grand traité multilatéral contraignant contre ces pratiques d'«optimisation fiscale agressive».

L'OCDE, organisation regroupant une trentaine de pays développés, estime que les ruses rendues célèbres par Google, Apple et autres multinationales privent les États de 100 à 240 milliards de dollars de recettes fiscales chaque année.

Qui fait quoi?

L'application du plan d'action contre les stratégies des multinationales pour éviter de payer leurs impôts va mobiliser aussi bien les États que les entreprises.

LES ÉTATS

Les États-membres du G20 et ceux de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), celle qui a rédigé un plan d'action en plusieurs parties contre l'optimisation fiscale agressive, dit «plan BEPS», vont devoir modifier dans certains cas leurs législations nationales. La même chose vaut pour les pays qui rejoindraient le mouvement.

L'un des changements les plus visibles est par exemple l'obligation pour les multinationales de détailler pays par pays leur activité et leur charge fiscale, pour traquer des anomalies, et ce afin que les États signataires puissent échanger ces informations.

La France par exemple vient de le faire, en prévoyant une amende 100 000 euros pour les grandes entreprises (750 millions d'euros de chiffre d'affaires au moins) récalcitrantes.

Une autre tâche cruciale pour les États sera la négociation, d'ici le 31 décembre 2016, d'un traité multilatéral sur les stratégies d'optimisation agressive, qui serait une première dans l'histoire de la coopération fiscale internationale.

Ce grand traité doit en quelque sorte «écraser» les conventions bilatérales existantes, pour éviter aux États de renégocier accord après accord.

«Il sera important de compter les Etats autour de la table, en particulier de suivre les États-Unis», peu enclins à ratifier ce type d'instruments, avertit Jean-Pierre Lieb, associé du cabinet de conseil EY. «Plus vous aurez de signataires, plus vous pourrez considérer que le succès politique est réel. Ce sera un thermomètre».

LES ADMINISTRATIONS FISCALES

Avec un afflux sans précédent de données techniques envoyées par les multinationales du monde entier, les administrations fiscales des divers pays vont devoir se doter de nouveaux outils, alors que bien souvent elles font face à des restrictions budgétaires. «C'est un point d'inquiétude», pour M. Lieb.

Solidaires Finances Publiques, syndicat des agents du fisc français, soulignait ainsi dès octobre dans un communiqué que les moyens de l'administration étaient «fortement en baisse». Le fisc a perdu en France plus de 32 000 emplois depuis 2002, et environ 2100 seront supprimés en 2016, selon l'organisation, qui s'interroge: «Comment croire dans ces conditions en la volonté affichée par le gouvernement de lutter contre toutes les formes d'évitement de l'impôt?"

LES ENTREPRISES

«Il y a un an et demi, un certain nombre d'entreprises étaient dubitatives sur le succès de BEPS, mais il y a eu un électrochoc l'année dernière», assure M. Lieb pour qui «cela fait bien un an que les directeurs fiscaux d'entreprises dotées d'une vraie empreinte internationale ont conscience de ce qui arrive et s'y préparent».

Il assure par ailleurs qu'avec le débat public autour des questions de fiscalité des multinationales, «le métier de directeur fiscal, très technique, tend à devenir aussi un métier de communicant (avec l'opinion publique, NDLR), on rejoint une évolution qu'ont connue les directeurs financiers.»

Le cabinet de conseil fiscal Taxand met lui en garde dans un récent communiqué contre une adoption «à la carte» des principes de l'OCDE, «permettant à chaque pays de choisir les mesures les plus pertinentes pour lui» et créant ainsi un «haut niveau de complexité et d'incertitude» pour les entreprises.

David Swenson, du cabinet de conseil PwC, écrivait lui en septembre dans la «International Tax Review» qu'en l'absence de pouvoir législatif de l'OCDE, le projet «BEPS» «risquait d'exacerber les contentieux» entre entreprises et administrations fiscales.