Masculines, opaques et ménagées par des actionnaires dociles, les entreprises japonaises sont priées par le gouvernement de Shinzo Abe de dépoussiérer leur gouvernance, une révolution déjà - modestement - amorcée.

Un nouveau code entre en vigueur ce lundi, créé dans le cadre de la stratégie dite des «Abenomics» qui vise à impulser un nouvel élan à la troisième économie mondiale. L'objectif? Redonner du lustre à des entreprises en perte de vitesse.

N'y cherchez pas cependant des règles précises, le document se contente de brosser des préceptes généraux que les firmes sont fortement incitées à suivre, avec un maître mot: «Transparence».

Principe numéro 1: choyer les actionnaires, favoriser le dialogue et renoncer à toute mesure qui chercherait à protéger l'entreprise à leurs dépens.

Autres recommandations: promouvoir la diversité - femmes et étrangers à l'honneur -, et réserver davantage de sièges du conseil d'administration à des membres extérieurs.

Leur part n'était que de 9% en 2013 au sein des grandes entreprises de l'indice boursier Topix, contre 70% aux États-Unis et 30% en Corée du Sud, selon des données citées par le FMI. Quant aux femmes, elles sont réduites à la portion congrue (1,1%), à comparer à 20% au Royaume-Uni.

«Pilule magique»

Les firmes se doivent aussi de communiquer le plus possible sur leur stratégie et sur tout risque encouru... Tout le contraire de ce qu'a fait l'équipementier automobile Takata, muet pendant de longs mois sur ses problèmes d'airbags alors que se multipliaient les millions de rappels dans le monde.

Enfin, il leur est demandé de s'assurer du sérieux et de l'indépendance des commissaires aux comptes externes, pour déjouer un maquillage comme celui découvert chez Olympus en 2011, ou éviter des erreurs de calcul telles que celles que vient de mettre au jour Toshiba.

Ces mesures, bien que vagues, marquent un vrai changement de ton, arguait récemment Nicholas Benes, expert de la gouvernance, lors d'un colloque à Tokyo.

«Le Rubicon a été franchi, c'est désormais une politique nationale», se félicite-t-il. «Ce code entend changer les mentalités», alors que le Japon figure à la traîne des autres pays développés.

Le succès de la «Japan Inc.» était montré en exemple dans les années 1980, mais une série de scandales et deux «décennies perdues» de déflation sont passées par là. Désormais l'Archipel cherche «une pilule magique pour guérir ses maux», souligne une universitaire.

Selon les économistes, bonne gouvernance, prise de risques et prospérité iraient de pair, à rebours de la thésaurisation privilégiée par des dirigeants frileux, laissés libres d'agir à leur guise.

Les sociétés privées japonaises (hors secteur financier) dorment en effet sur un épais matelas de trésorerie de l'ordre de 230 000 milliards de yens (1700 milliards d'euros), équivalant à près de la moitié du produit intérieur du pays!

Prise de conscience

Dans le même souci de prudence, elles préfèrent des patrons qui ont plus de 30 ans de maison, laissant à la porte de précieux talents.

Une prise de conscience se dessine cependant. Le fabricant des robots industriels Fanuc, la plus secrète des firmes nippones, s'est résolu à des changements notables: ouverture d'un guichet d'informations pour ses actionnaires et promesses de dividendes plus élevés.

Plus largement, des principes ont été édictés à l'adresse des investisseurs (Stewardship Code) pour les pousser à être plus actifs, et un nouvel indice boursier - le JPX-Nikkei 400 - a été créé, rassemblant des entreprises converties à ces nouveaux critères de gouvernance prisés à l'étranger.

Réformes de vitrine dont Shinzo Abe peut se vanter, mais aux retombées incertaines, selon les critiques de la réforme.

«Changer le code de conduite sans toucher à la loi» ne rime pas à grand-chose, prévient Tatsuo Uemura, professeur à l'université Waseda, surtout dans un pays où les actionnaires ont tendance à ne pas être très revendicatifs.

D'autres observateurs, à l'instar de l'analyste indépendant Jun Okumura, s'agacent de ce qu'ils qualifient de faux débat, citant les réussites malgré cette gouvernance nippone qui ne sied pas aux milieux d'affaires occidentaux.

Et les mêmes analystes sceptiques de dénoncer les travers des États-Unis, où les PDG empochent parfois des salaires délirants comparés à la parcimonie en vigueur au Japon. Sans compter que la prétendue exemplaire gouvernance américaine n'a pas empêché le scandale Enron ou la crise financière, rappellent-ils.