L'effondrement du rouble sur le marché des devises s'est poursuivi de plus belle, hier, en dépit d'une hausse de 6 points du taux d'escompte, à 17%, qui a été décidée d'urgence par les autorités financières de Russie.

Déjà dévaluée de moitié depuis juillet par les effets successifs de la fuite des capitaux lors de la crise en Ukraine, des sanctions économiques de l'Occident et du krach pétrolier, la devise russe a plongé hier à un taux de change inégalé de 80 roubles le dollar après que des rumeurs sur les marchés eurent fait croire à l'imposition de restrictions sur la conversion du rouble.

Il a fallu un démenti du ministre russe de l'Économie pour que le rouble se redresse un peu, à environ 70 roubles le dollar. C'est néanmoins insuffisant pour dissuader les principales firmes de change et les cambistes des grandes banques d'Europe et d'Amérique de suspendre temporairement leurs transactions sur le rouble en raison de sa volatilité devenue un peu trop extrême.

À Londres, des analystes de la banque Barclays ont avisé leurs clients que «la férocité de la chute du rouble est telle qu'il faudra un autre «big bang» pour reprendre le contrôle des marchés».

À Paris, un analyste des marchés émergents à la firme de transactions hors-cote OTCex a fait état à l'agence Bloomberg d'un «constat d'échec de la banque centrale russe» pour soutenir le rouble. Malgré les démentis officiels, «les autorités russes devront annoncer des restrictions sur la conversion du rouble. C'est leur dernière solution».

En Russie, entre-temps, les citoyens et les entreprises sont aux prises avec des taux d'intérêt de plus de 20% sur leurs emprunts, en plus d'une très forte inflation des produits d'importation. À ce rythme, selon des analystes, l'économie russe se dirige droit vers une récession et une crise budgétaire d'une ampleur inégalée en deux décennies.

Impact au Québec

Plus près de nous, les entreprises québécoises qui exportent le plus vers la Russie, comme le fabricant de motoneiges BRP (Ski-Doo) et le transformateur de viande de porc Olymel, subissent déjà les effets de la crise économique en Russie.

BRP a récemment dû abaisser ses prévisions de résultats après une baisse significative des commandes de ses détaillants en Russie, son troisième marché en importance après les États-Unis et le Canada pour les motoneiges.

Quant à Olymel, depuis le mois d'août, elle ne peut plus exporter de viande de porc en Russie, alors son quatrième marché d'exportation, en raison d'un embargo décrété par Moscou en réponse aux sanctions économiques imposées par l'Occident après l'intervention militaire russe en Ukraine.

Parmi les cambistes, le krach du rouble en dépit des mesures d'exception prises ou envisagées par les autorités russes ravive les fantômes de la crise des devises de pays émergents en 1998.

Commencée en Asie - en Thaïlande d'abord puis en Malaisie et en Corée du Sud -, cette crise monétaire régionale avait contaminé d'autres économies émergentes comme le Brésil et la Russie.

Elle avait ensuite perturbé les marchés financiers de la planète. Aux États-Unis, cette crise avait provoqué la faillite de Long Term Capital Management, une catastrophe telle qu'elle avait requis une intervention spéciale de la Réserve fédérale (Fed).

Une quinzaine d'années plus tard, l'effondrement du rouble pourrait-il provoquer une autre crise des devises dans les économies émergentes?

Depuis juillet, l'indice JPMorgan des devises de pays émergents a reculé de 11% pour atteindre son taux le plus bas depuis 12 ans. C'est même inférieur à celui qu'il avait atteint durant la crise financière mondiale de 2008.

«Il y a manifestement un effet de contagion de la crise du rouble vers la valeur attribuée aux devises d'autres économies émergentes d'importance, comme la Turquie, l'Indonésie et l'Inde», a indiqué Luc De la Durantaye, directeur de l'allocation d'actifs et de la gestion des devises à Marchés mondiaux CIBC, à Montréal.

Néanmoins, il s'attend à ce que cette contagion demeure limitée et incomparable à la crise de 1998 parmi les devises des pays émergents.

«D'une part, il faut considérer que la dévaluation du rouble est en partie exagérée par la pénurie de dollars américains en Russie, qui résulte des sanctions imposées par les États-Unis et l'Europe lors de la crise militaire en Ukraine, selon M. De la Durantaye.

«D'autre part, malgré les apparences sur le marché des devises, la situation financière et budgétaire des principaux pays émergents est bien moins fragile maintenant qu'en 1998. Même que la plupart de ces économies qui importent du pétrole profiteront le plus de la baisse marquée de leurs coûts pétroliers.»