Après une douloureuse cure d'austérité de cinq ans - qui a donné des résultats décevants, voire désastreux dans certains pays - l'Europe change son fusil d'épaule: place aux grands travaux pour relancer l'économie.

Mercredi dernier, le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a dévoilé un plan majeur visant à réunir en trois ans quelque 315 milliards d'euros (430 milliards CAN) de fonds, surtout privés, pour améliorer les infrastructures du Vieux Continent.

L'autre but du plan est de stimuler l'investissement et, surtout, de remettre au travail 1,3 million de chômeurs créés, du moins en partie, par les compressions budgétaires en Grèce, au Portugal et dans plusieurs pays.

Or, l'Europe n'est pas seule à miser sur les grands travaux pour se remettre en marche. L'Australie, l'Indonésie, les Philippines et même le Canada viennent de débloquer des budgets importants pour restaurer les aéroports, les routes, leur réseau ferroviaire ou même bâtir une centaine de villes, comme en Inde.

Au total, des centaines de milliards de dollars seront dépensés d'ici trois ans, conformément aux derniers engagements du G20, dont les pays membres misent sur des dépenses dans les infrastructures pour requinquer l'économie mondiale.

Un montage audacieux

C'est surtout le plan européen qui retient l'attention ces jours-ci. C'est «le plus gros effort récent entrepris par l'Europe pour l'investissement», selon M. Juncker. Il servira à financer de grands projets énergétiques, numériques et de transport (240 milliards d'euros en tout), en plus d'aider les PME (75 milliards).

Le montage financier concocté est audacieux. Essentiellement, l'Europe se dote d'un nouveau fonds - le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), qui sera géré par la Banque européenne d'investissement (BEI). Cette institution finance, depuis environ 50 ans, les projets d'infrastructure sur le continent.

Mais, crise budgétaire oblige, le FEIS disposera de peu d'argent public au départ, soit 5 milliards d'euros. On ajoutera des garanties, à hauteur de 16 milliards, provenant de fonds du budget européen. Le pari donc est d'attirer, avec ces 21 milliards, des capitaux privés pour les projets qui seront acceptés. Bref, avec un effet multiplicateur de 15, cette somme de départ devra mobiliser au final 315 milliards d'euros, selon Bruxelles.

Irréaliste? Certains, dont le Front national en France, considèrent le plan Juncker surtout «insuffisant», car il ne représente que 11 milliards d'euros pour chacun des 28 pays de l'Union européenne. D'autres mettent en doute la capacité du plan d'attirer des investisseurs avec des projets souvent jugés peu rentables

Reste que plus de 800 projets, totalisant près de 700 milliards d'euros, sont déjà sur la table, soutient le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici. Il assure que les travaux débuteront «le plus vite possible», soit dès 2015.

Une chose est certaine, les besoins sont là. L'Europe a accumulé un criant retard en investissements privés et publics, évalué à 370 milliards d'euros depuis la crise financière de 2008. Même l'Allemagne n'en fait pas assez sur ce plan, déplore le Fonds monétaire international (FMI).

Au moins, il y a une chose qui favorisera la réussite du plan Juncker: les taux d'intérêt, à un creux historique, constituent une forte incitation pour le secteur privé à investir... pour autant que les banques prêtent.

Europe, «où est ta vigueur?»

Les experts sont partagés au sujet du plan Juncker, mais la plupart y voient un pas dans la bonne direction.

«C'est le moment de le faire. Nous sommes dans une phase de conjoncture faible, de chômage massif, de demande déprimée. L'effet dopant sur l'activité pourrait être très important», affirme Éric Heyer, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Entre-temps, la grogne contre les compressions budgétaires augmente de jour en jour en Europe. Même le Vatican commence à s'impatienter, incitant ses voisins à «bouger». «Europe, où est ta vigueur?», a lancé le pape François mardi dernier devant le Parlement européen. Pour l'évêque de Rome, l'Europe donne «une impression générale de fatigue et de vieillissement». Autrement dit, l'austérité a assez duré.

Quelques grands projets dans le monde

Jakarta, la ville qui coule

La capitale de l'Indonésie et ses banlieues (29 millions d'habitants) s'enfonce dans la mer de 15 cm par an, soit 10 fois plus vite que la montée des océans. Le gouvernement a débloqué 50 milliards de dollars canadiens pour racheter des terres, construire une digue de 32 km et aménager un archipel pour refouler les eaux.

Manille, la congestion monstre

Deux heures pour franchir sept kilomètres en auto... les habitants de Manille en ont assez des embouteillages. Aussi, le gouvernement des Philippines a doublé son budget pour les routes, les transports en commun et les aéroports en 2014 (à 10 milliards CAN), après avoir trouvé 57 projets pour améliorer les infrastructures.

Inde : Modi dépensera des milliards

Selon son nouveau premier ministre, Narendra Modi, l'Inde compte dépenser 250 milliards US d'ici 20 ans pour refaire et moderniser ses infrastructures désuètes, incluant la construction d'une centaine de villes et de millions de toilettes. Quelque 600 000 Indiens meurent chaque année à cause de maladies causées par des installations sanitaires déficientes.

L'Allemagne, champion des nids-de-poule?

Le pays des autobahns, royaume des nids-de-poule? Difficile à croire. Pourtant, des manufacturiers en Allemagne, dont SMS Siemag (métaux), se plaignent du mauvais état des routes, qui a quadruplé les temps de livraison depuis 2010. La chancelière Angela Merkel vient de doubler le budget d'infrastructures de l'État (à 10 milliards d'euros).

Australie : le bitume

Dépendante du secteur des métaux, dont les prix ont fondu, l'économie australienne ralentit. Alors que le déficit budgétaire se creuse (près de 50 milliards CAN cette année), le gouvernement a commencé à privatiser des sociétés d'État pour financer le développement des réseaux routier et ferroviaire et relancer la croissance.

Canada : Harper lance ses grands travaux

Alors qu'Ottawa vogue vers l'équilibre budgétaire, le premier ministre Stephen Harper a encore sorti le chéquier lundi dernier en annonçant des investissements de 5,8 milliards dans les infrastructures fédérales. Près de la moitié de cet argent (2,8 milliards) servira à retaper des bâtiments liés au patrimoine, des voies navigables et des routes dans les parcs.