Il y a quelques années à peine, la Banque de Suède faisait l'envie des banquiers centraux du monde entier. L'économie suédoise, qu'elle supervise, avait évité le gâchis de la crise financière de 2009. Et le petit pays scandinave affichait, un an plus tard, une croissance trois fois supérieure à celle de la zone euro.

Tout allait bien pour la «plus vieille banque centrale du monde» (fondée en 1668). Si bien qu'elle a décidé en 2010, malgré de sévères critiques, de hausser de deux crans les taux d'intérêt en Suède - portant le taux directeur à 2% - alors que d'autres banques centrales étaient en voie d'abaisser le leur sous 1% pour soutenir leur économie.

Erreur.

À preuve: mardi dernier, dans une volte-face peu commune, la Sveriges Riksbank a fait un humiliant aveu d'échec en ramenant son taux directeur... à zéro. Le but: combattre la déflation qui risque de plonger le pays en récession.

Aucune grande banque centrale n'affiche officiellement un gros «0%» sur son portail. La BCE a fixé à 0,05% son taux de référence, tandis que la Fed et la Banque du Japon ont des «fourchettes» comprises entre zéro et quelques centièmes.

La Suède, un modèle économique pour certains, en est à sa troisième baisse de taux en dix mois. Trop peu, trop tard. Le mal est fait, disent certains.

Deux pas en avant, trois en arrière... Le va-et-vient suédois avec le loyer de l'argent est aujourd'hui la cible de reproches, voire la risée à Wall Street et dans la City.

«Danser le tango en skis de fond, ça paraît mal. C'est surtout un sport dangereux», ironise un cambiste de Londres cité par un site web financier.

«Ils se sont plantés», clame la réputée firme d'analyse économique IHS.

«Un sadomonétariste», dit même le Prix Nobel Paul Krugman au sujet du gouverneur de la Banque de Suède, Stefan Ingves.

En clair, on reproche à M. Ingves d'être allé trop loin, trop vite en 2010. Hausser les taux d'intérêt était suicidaire au moment où les indicateurs économiques mondiaux étaient au plancher et commandaient plutôt une politique expansionniste.

Endettement et immobilier

Pourquoi la Sveriges Riksbank a ramené son taux directeur à zéro?

Parce que les prix à la consommation en Suède baissent dangereusement. Ils ont diminué de 0,4% en septembre, marquant un septième repli cette année. Il n'y a rien de comparable ailleurs en Occident. Or, la déflation incite les consommateurs à reporter leurs achats, freine l'investissement et risque d'entraîner une profonde récession, comme celle qui a paralysé le Japon pendant 10 ans.

Le calcul des autorités suédoises est le suivant: un taux à zéro «augmentera la demande au sein de l'économie», dit la Banque. L'annonce a eu un impact immédiat sur la couronne suédoise, qui est tombée à un creux de quatre ans face au billet vert américain. Le recul de la devise suédoise devrait aussi stimuler les exportations.

Qu'est-ce qui avait motivé la hausse préalable des taux d'intérêt?

Un problème répandu en Scandinavie et que le Canada ne connaît que trop bien: la flambée du marché immobilier, jumelée à un endettement record des ménages.

En freinant ainsi le crédit en 2010, la Banque voulait juguler ces deux menaces. La dette des Suédois atteint 170% de leur revenu disponible, un taux comparable à celui des Canadiens et l'un des plus élevés au monde. Quant aux prix des maisons au pays d'Ikea, ils sont parmi les plus élevés d'Europe. De sorte que beaucoup de Suédois mettront jusqu'à 140 ans pour rembourser leur hypothèque... en ne payant que les intérêts chaque année.

Pourtant, la hausse des taux suédois, à l'époque, a été critiquée par plusieurs, dont l'économiste Lars Svensson, l'ex-gouverneur adjoint lui-même de la Sveriges Riksbank, qui a claqué la porte de l'institution en 2013.

Des leçons à tirer

Mardi, dans un repli gênant, la banque a même promis de garder son taux directeur à zéro «jusqu'au milieu de 2016», car la déflation menace l'économie, qui reste pour le moment en croissance. Qui plus est, le taux de chômage (à 7,2%) est deux fois plus grand que celui des voisins norvégiens.

Pour les experts, la mésaventure de la Sveriges Riksbank devrait servir de leçon pour les autres banques centrales, aux États-Unis et au Canada en particulier.

«Lorsque vous augmentez les taux, soyez certains que l'économie peut encaisser le coup», affirmait récemment William Dudley, président de la Réserve fédérale de New York. «[Actuellement], il y a beaucoup de raisons d'être patient.»

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Les taux directeurs des banques centrales



Les principales

> Réserve fédérale: 0,25%

> Banque centrale européenne: 0,05%

> Banque du Canada: 1,0%

> Banque d'Angleterre 0,5%

> Banque du Japon: 0,1%

Ailleurs dans le monde

> Chine: 6%

> Brésil: 11%

> Inde: 8%

> Suède: 0%