La grande agence Standard & Poor's prévoit que la cote de crédit de la plupart des pays subira un impact négatif à cause des changements climatiques, et que cet effet sera plus important dans les pays les plus pauvres.

L'agence a publié pour la première fois le mois dernier un palmarès des pays en fonction de leur vulnérabilité.

«C'est notre première incursion dans ce domaine, affirme Moritz Kramer, auteur principal du rapport, en entrevue avec La Presse. Il y a de plus en plus d'intervenants, et pas seulement les investisseurs, qui se demandent comment nous tenons compte de ces tendances. Dans le passé, cela se transposait à travers les variables budgétaires, fiscales ou économiques.»

Pour mieux faire comprendre l'enjeu des changements climatiques aux cercles financiers, les auteurs de l'étude font un parallèle avec le vieillissement de la population. «Le vieillissement est beaucoup mieux compris», souligne M. Kramer.

Ces deux phénomènes - des «mégatendances», selon S&P - se produisent à une vitesse qui les rend imperceptibles à court terme, mais ils peuvent nuire à la santé financière d'un pays.

Mais la comparaison a ses limites, note S&P: un pays peut prévoir le vieillissement de sa propre population et agir en conséquence sur son territoire. En revanche, les effets potentiels des changements climatiques sont plus difficiles à prévoir à l'échelle régionale, et les mesures pour les prévenir doivent être prises globalement.

Trois indicateurs

Néanmoins, S&P a choisi trois indicateurs qui permettent de jauger la vulnérabilité des pays aux impacts des changements climatiques.

D'abord, la proportion de la population qui vit dans les plaines côtières et qui est donc exposée à la hausse du niveau des océans.

Puis, la part de l'agriculture dans l'économie (PNB) du pays.

Enfin, l'indice de vulnérabilité conçu par l'Université Notre-Dame.

En combinant ces trois facteurs, on obtient une carte du monde très éclairante pour la géopolitique du climat.

«Je ne suis pas surpris de ce que nous avons trouvé, en termes de liens entre la prospérité et la vulnérabilité, dit M. Kramer. Les pays développés sont plus à même de résister aux impacts des changements climatiques.»

«Ça me paraît une bonne approximation pour une première analyse, indique Germain Belzile, professeur de macroéconomie à HEC Montréal. Cela va dans le sens de s'intéresser à des éléments qui affectent le risque des emprunteurs. C'est très prudent de leur part de commencer à s'intéresser à la question.»

L'information sera utile pour les investisseurs qui détiennent des obligations gouvernementales de 10, 30 ou même 50 ans.

Cependant, note M. Kramer, les pays plus pauvres n'émettent pas beaucoup de ce type d'instruments financiers. «Ce n'est pas comme s'il y avait beaucoup d'obligations de 30 ans du Bangladesh sur le marché», dit-il.

Les signes que la sphère financière commence à prendre les changements climatiques au sérieux se multiplient, note Gontran Bage, de Raymond Chabot Grant Thornton.

«Il y a de plus en plus d'entreprises, notamment du secteur bancaire et des assurances, qui participent au Carbon Disclosure Project [et qui diffusent donc de l'information sur leurs émissions polluantes]», précise-t-il.

Renaud Gignac, chercheur associé à l'IRIS, note pour sa part que le Canada ne devrait pas sous-estimer les impacts des changements climatiques sur son économie.

«C'est une injustice assez grave que les pays qui contribuent le moins soient les plus touchés et les plus vulnérables, dit-il. Mais ce n'est pas parce que le Canada a plus de ressources pour s'adapter qu'il n'y aura pas toutes sortes d'impacts.»

«Avec les événements météo extrêmes à Toronto et à Calgary l'an dernier, on a eu les inondations les plus coûteuses de l'histoire du Canada, poursuit-il. Les États doivent consacrer une part de plus en plus grande de leurs ressources à réparer les pots cassés.»

Ce ne sont pas les régions qui polluent le plus (par habitant) qui paieront d'abord la note pour les changements climatiques. S&P a examiné la vulnérabilité de la cote de crédit de nombreux pays par rapport aux bouleversements du climat.

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LES POINTS CHAUDS

POINT 1

Les régions les plus vulnérables sont le sous-continent indien et l'Asie du Sud-Est. L'Inde, le Bangladesh, le Viêtnam, le Cambodge et l'Indonésie sont cotés «très vulnérables». En tout, ces pays comptent 1,8 milliard d'habitants qui émettent proportionnellement très peu de gaz à effet de serre (GES).

POINT 2

La Chine, premier émetteur mondial de GES, est cotée «vulnérable». Ses 1,36 milliard d'habitants émettent cependant deux fois moins de gaz carbonique en moyenne que les Canadiens ou les Américains.

POINT 3

Le Canada fait partie des pays les mieux équipés pour faire face à la crise climatique, tout comme les États-Unis. Mais ils ne sont pas pour autant à l'abri. Le secteur agricole nord-américain paraît à risque, notamment la culture du maïs, même s'il ne représente qu'une petite part de l'économie.

POINT 4

L'Europe apparaît comme peu ou très peu vulnérable d'après S&P, mais selon les prévisions de l'Agence européenne de l'environnement, les impacts seront tout de même majeurs. Tout le pourtour méditerranéen est à risque de se désertifier avec une hausse de plus de 4 °C de la moyenne estivale d'ici 2100.

POINT 5

L'Afrique reproduit assez bien la disparité mondiale de la vulnérabilité au climat. Le pays le plus développé, l'Afrique du Sud, apparaît comme le moins vulnérable. C'est aussi le plus grand émetteur de GES du continent.

Charles Côté