Les économies émergentes, toujours un moteur de la croissance mondiale, sont en perte de vitesse. De plus en plus d'investisseurs les boudent, surtout les marchés politiquement «trop chauds» comme la Turquie, la Thaïlande ou le Brésil.

Comètes économiques du début des années 2000. Moteur de la reprise après la crise financière de 2008-2009. Refuge des investisseurs durant la crise européenne...

Tout semblait tourner en faveur des économies émergentes depuis 10 ans.

Or, voilà que ces champions de la croissance titubent sous le poids d'une crise politique et sociale qui secoue certains d'entre eux, mais aussi d'un ralentissement économique inquiétant.

Des investisseurs ont d'ailleurs perdu confiance, surtout envers des navires qui prennent l'eau comme la Turquie, la Thaïlande, le Brésil et l'Indonésie. Les signes de cette inquiétude se multiplient en ce début de 2014.

- Le real, la devise du Brésil, a touché un creux de quatre mois jeudi dans la foulée d'une sortie massive de fonds du pays qui a atteint l'an dernier un rythme inégalé en 10 ans.

- La livre turque et le baht thaïlandais continuent de flirter avec des creux records, par rapport au dollar américain, à l'ombre d'une crise politique qui secoue la Turquie et la Thaïlande depuis plusieurs semaines.

- Et comble de malheur, le Fonds monétaire international (FMI) vient d'indiquer qu'il révisera à la baisse ses projections pour plusieurs économies émergentes, alors qu'il les augmentera pour certains pays industrialisés.

La perte de confiance des investisseurs est particulièrement évidente sur les marchés boursiers: un indice très suivi, le MSCI Marchés émergents, a subi un recul de 3,5% durant les quatre premiers jours de transactions de 2014. Cela s'ajoute à un repli de 5% tout au long de 2013. Ces pertes gênantes contrastent vivement avec les gains spectaculaires des Bourses de New York, Tokyo et Londres depuis un an.

La glissade des marchés financiers dans les pays émergents traduit surtout le changement de stratégie des grands investisseurs. Plusieurs n'y croient plus et préfèrent miser sur la reprise qui prend forme dans les pays industrialisés, aux États-Unis en particulier.

Ainsi, en l'espace de trois jours la semaine dernière, les investisseurs ont retiré plus de 1,2 milliard US du fonds Vanguard FTSE Emerging Markets ETF, le plus important fonds des pays émergents négocié en Bourse aux États-Unis, selon les données d'IndexUnverse compilées par Bloomberg.

Cela s'ajoute à des retraits de plus de 6 milliards US au cours de l'année 2013 - un sommet de trois ans - selon la firme EPFR Gobal.

Économie et politique

Ce qui rebute les investisseurs est un mélange de problèmes économiques - inflation élevée, baisse des exportations, dépendance aux fonds étrangers, etc. - et d'agitation politique qui touchent certains pays (voir ci-dessous).

Les économies émergentes, même si elles contribuent toujours à la croissance mondiale, «sont davantage en perte de vitesse que prévu», affirmait le mois dernier Christine Lagarde, la grande patronne du FMI.

Il faut dire que la cote d'amour envers les économies émergentes a commencé à baisser l'été dernier. C'est alors que la Réserve fédérale américaine (Fed) s'est engagée à limiter son aide à l'économie américaine en réduisant ses injections de liquidités.

Tel que promis, la Fed a récemment commencé à fermer le robinet de capitaux bon marché, étranglant un flot de plusieurs centaines de milliards qui coulait en bonne partie vers les économies émergentes.

Entre-temps, les perspectives économiques s'améliorent aux États-Unis et dans d'autres pays occidentaux. Si bien qu'investir dans les pays développés redevient «in».

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QUATRE PAYS ÉMERGENTS EN CRISE

La Turquie: corruption et agitation sociale

Depuis la mi-décembre, la livre turque et la Bourse locale subissent le contrecoup du scandale de corruption qui provoque des manifestations monstres, parfois violentes, dans les rues d'Istanbul. La crise fait tanguer le gouvernement du premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan. Et la Turquie, qui a du mal à attirer des capitaux étrangers, montre des signes de ralentissement après cinq années de forte croissance.

La Thaïlande: crise et touristes moins nombreux

Depuis le début du mois de novembre, les rues de Bangkok se sont enflammées après que la première ministre, Yingluck Shinawatra, a voté une loi d'amnistie pour exonérer son frère Thaksin (un ancien chef de gouvernement renversé en 2006 par un coup d'État militaire) des accusations de corruption pesant contre lui. Le baht chute, les touristes se font moins nombreux, les investisseurs fuient et les économistes ont réduit leurs prévisions de croissance.

Le Brésil: la mine basse avant la Coupe du monde

L'économie progresse à peine, l'inflation est trop élevée, les consommateurs sont de plus en plus endettés et les coûts exorbitants de la Coupe du monde de soccer, prévue à l'été, provoquent la colère des citoyens. Résultat: les étrangers ont retiré 12,3 milliards US du Brésil l'an dernier - un sommet en 10 ans - comparativement à une entrée nette de fonds de 16,8 milliards en 2012 et de 65 milliards US l'année précédente, selon Bloomberg.

L'Indonésie: un douloureux combat contre l'inflation

Aux prises avec une inflation qui frôle les 8,5% et une grogne populaire croissante, les autorités monétaires ont commencé à hausser les taux d'intérêt l'an passé, ce qui ralentit sévèrement l'économie. Le pays tarde aussi pour rénover ses infrastructures vieillissantes, tandis que les problèmes de corruption et de bureaucratie rebutent de plus en plus les investisseurs. La roupie indonésienne a chuté de près de 20% sur un an par rapport au billet vert américain.