C'est un paradoxe plutôt gênant pour la deuxième puissance mondiale. Les millionnaires se multiplient en Chine à la faveur d'une économie en forte croissance, mais la majorité d'entre eux ne rêvent que d'une chose: investir leur fortune hors du pays et même émigrer pour se payer une vie meilleure.

Ce n'est pas encore un exode aux proportions bibliques. Mais c'est certainement l'une des grandes migrations financières de notre époque.

De plus en plus de riches en Chine font tout ce qu'ils peuvent pour sortir une partie de leur fortune du pays. La plupart cherchent à diversifier leurs investissements à l'étranger, comme d'autres grands nantis du monde, tandis que d'autres cherchent carrément à se nicher dans un autre pays.

Selon la firme WealthInsight, les Chinois fortunés ont investi 658 milliards US dans divers actifs et outils financiers à l'étranger. C'est deux à trois fois les sommes estimées il y a trois ans, selon certaines études.

La firme Bain Consulting évalue que la moitié des riches en Chine - avec un avoir net de 16 millions US ou plus - a placé une partie de ses avoirs à l'extérieur du pays.

La proportion de gens fortunés qui prend le large est étonnante, voire gênante pour les autorités locales. Le très officiel Quotidien du Peuple parlait ouvertement, plus tôt cette année, d'une «fuite des cerveaux et du capital» étant donné que le tiers des riches Chinois avait émigré à l'étranger ou songeait à le faire.

L'immobilier d'abord

Les grandes fortunes chinoises regardent au-delà de la Grande Muraille pour dénicher des occasions d'affaires et des placements à rendement élevé, alors que la croissance économique nationale ralentit et que le yuan continue de s'apprécier.

Un rapport du spécialiste immobilier Jones Lang LaSalle (JLL) avance que l'investissement des Chinois à l'étranger aurait crû de 30% en 2013, l'immobilier étant leur principale cible.

Dans le contexte des restrictions strictes à la propriété en Chine et du rendement incertain des Bourses, l'immobilier étranger offre plus d'occasions. Et un yuan plus fort rend les actifs étrangers plus accessibles aux acheteurs chinois, selon JLL.

Par exemple, la devise chinoise s'est appréciée d'environ 35% contre la livre sterling depuis 2005, ce qui équivaut à un rabais équivalent sur une propriété au Royaume-Uni. Cela explique en partie pourquoi les Chinois se ruent sur les propriétés luxueuses à Londres.

La valeur des maisons monte en flèche dans la capitale britannique (plus de 8%, sur un an, en septembre), faisant craindre l'émergence d'une bulle immobilière. Si c'est le cas, les Chinois en sont en bonne partie responsables, car ils ont acheté 27% des nouvelles résidences vendues à Londres en 2012, calcule l'agence Savills.

Les États-Unis figurent aussi dans l'itinéraire des Chinois en quête d'un pied à terre à l'étranger. Parmi les citoyens de 68 pays ayant investi dans la brique et le mortier en sol américain, les Chinois arrivent au deuxième rang avec des achats de 8 milliards US l'an passé, selon le National Association of Realtors. Ils viennent derrière les Canadiens, toujours les meneurs, avec 17 milliards US investis dans l'immobilier américain en 2012.

Or, art, bijoux....

Officiellement, le gouvernement limite à 50 000$US les sommes en argent que les Chinois peuvent sortir de leur pays. Diverses sources rapportent cependant que les millionnaires utilisent toutes sortes de moyens pour contourner les règles. On achète de l'or, des bijoux et des oeuvres d'art qui sont précieusement conservés à l'extérieur du pays.

Des médias américains rapportent que le milliardaire Wang Jianlin et son entreprise Dalian Wanda auraient acheté, le mois dernier, un Picasso pour 28 millions US lors d'une vente aux enchères de Christie's à New York. Des détaillants américains de diamants de collection affirmaient à CNN récemment que plus de la moitié de leurs ventes sont destinées à des Chinois.

Et il n'y a pas que l'argent qui sort de la Chine. Ces dernières années, «un nombre non négligeable de riches et de talents» ont aussi choisi d'émigrer, affirment des universitaires chinois cités par une agence de presse.

D'ailleurs, le Bureau de services d'immigration des États-Unis évalue que, parmi les immigrants investisseurs venus sur le territoire américain cette année, environ 75% sont d'origine chinoise.

Une étude de l'Industrial Bank and Hurun Report rajoute que plus de 50% des millionnaires chinois songeraient à émigrer ou ont déjà fait des démarches en ce sens.

Plusieurs de ces émigrants sont de hauts gradés de la fonction publique chinois, qui fuient les enquêtes sur la corruption cette année en Chine. Mais la plupart sont «des gens d'affaires fortunés qui recherchent une meilleure vie pour leurs enfants», affirme la firme américaine McKinsey dans une récente étude.

Bref, on fait beaucoup d'argent en Chine, déjà promise à devenir la première puissance mondiale. Mais, pour plusieurs de ses nouveaux millionnaires, l'avenir est ailleurs.