Après deux récessions causées par la crise financière de 2009, une reprise prend forme au Royaume-Uni. Mais ce regain de vie est surtout alimenté par une «surdose de sucre» provenant du crédit et de l'immobilier, déplorent des experts.

Le Royaume-Uni a-t-il retrouvé le chemin de la croissance économique durable?

S'il n'en tient qu'au gouverneur de la Banque d'Angleterre (BdA), le Canadien Mark Carney, la réponse est un vibrant «yes sir!» D'ailleurs, la croissance britannique se «dirige vers le haut des économies développées», clame ces jours-ci sur toutes les tribunes l'ex-gouverneur de la Banque du Canada.

La publication de quelques bonnes nouvelles depuis un mois tend certes à confirmer la thèse d'une reprise que l'on n'attendait plus au royaume de Sa Majesté, après quatre années en dents de scie.

La sixième économie mondiale a progressé de 0,8% au troisième trimestre, a-t-on appris la semaine dernière - la meilleure performance en trois ans alors que la zone euro tangue encore du bord de la récession.

Les bonnes nouvelles sont tombées sur presque tous les fronts. Le chômage est en recul et les ventes au détail, malgré une baisse inattendue en août, restent en hausse de 2,1% sur une année. Côté humeur, les Britanniques pourraient trahir leur flegme légendaire et esquisser un petit sourire tellement la confiance des ménages s'accroît, indiquent des sondages.

Si bien que le Fonds monétaire international (FMI) prédit que le Royaume-Uni enregistrera une croissance de 1,4% cette année et de 1,9% en 2014, donc mieux que le Japon ("2% et "1,2%) et, surtout, que la zone euro (- 0,4% et "1%).

La recette britannique

Mais quelle est donc la recette des Britanniques? On ne la trouve certainement pas dans les pubs et leur «pork pies», mais dans le crédit et l'immobilier, répondent les critiques du gouvernement David Cameron et des économistes.

L'économie britannique tire essentiellement profit de l'activisme de la banque centrale, qui soutient à bout de bras le crédit, et des politiques du gouvernement qui activent le marché immobilier.

Avec sa politique monétaire ultra-accommodante, la BdA a injecté 375 milliards de livres (630 milliards de dollars canadiens) dans l'économie depuis deux ans, en plus de maintenir les taux d'intérêt à des niveaux historiquement bas.

Cette injection d'adrénaline a été amplifiée par des mesures favorisant l'octroi de crédits (Funding for Lending), destinés aux entreprises, et surtout, par le programme «Help to Buy» du gouvernement qui accorde de généreux prêts aux Britanniques - jusqu'à 600 000 livres! - pour acheter une maison.

Résultat: les prix de l'immobilier montent en flèche sur certains marchés. La hausse est vertigineuse à Londres, faisant resurgir les craintes d'une bulle immobilière.

Selon le site immobilier Rightmove.com, les prix ont bondi de 10% dans la capitale de la mi-septembre à la mi-octobre. Si bien que le prix moyen d'un logement atteint 544 232 livres sterling (915 000$), soit le double du reste de la grande île.

Dans quatre arrondissements, le prix minimum d'un logement est de 1 million de livres (1,68 million de dollars)! À ce rythme, on battra le record de 2007, à la veille de l'éclatement de la crise financière.

Mais il ne faut pas s'inquiéter, plaident les défenseurs de cette stratégie, car la flambée des prix est concentrée à Londres. À l'échelle du pays, la hausse n'est que de 2,3%.

Si les autorités misent autant sur l'immobilier, c'est en raison du «lien étroit entre prix [des maisons] et moral des consommateurs», explique dans une note financière Martin Beck, de Capital Economics. Le raisonnement est simple: si l'immobilier repart, le reste de l'économie suivra.

Des problèmes nombreux

Sauf que derrière cette embellie, les problèmes sont nombreux. Les inégalités s'aggravent entre le sud du pays et le nord industriel en difficulté. L'inflation ("2,7%) est quatre fois plus élevée que la hausse des salaires, et plus de 5 millions de foyers ne pourront régler leur facture de chauffage à l'hiver compte tenu des coûts de l'énergie. La distribution de colis alimentaires a bondi de 170% en un an, rapportent aussi des médias locaux.

Autre point noir: l'investissement des entreprises reste faible. En repli de 2,7% au deuxième trimestre, cet indicateur est inférieur de 27% au niveau antérieur à la récession. Ce qui n'aide pas la productivité britannique, parmi la plus faible du G7, alors que les exportations piétinent.

Bref, les experts s'interrogent sur le caractère artificiel de la reprise britannique. «Le rebond est provoqué par des améliorations de la demande [...] et ne rééquilibre pas l'économie vers l'investissement et les exportations», regrette Michael Saunders, de Citigroup.

«Cette croissance s'apparente à une surdose de sucre», rajoute sèchement Neil Williams, économiste en chef d'Hermes Fund Managers.

Tous les experts sont d'accord sur une chose: on verra avec le temps si l'immobilier peut requinquer le reste de l'économie. Pour le moment, cette reprise économique demeure la plus faible en 100 ans pour le royaume.