Étoile montante de l'économie mondiale il y a cinq ans, aux côtés de la Chine, l'Inde peine aujourd'hui à enrayer la crise que traverse actuellement son économie. La roupie est en chute libre, l'inflation s'emballe et les épargnants se réfugient dans l'or. Même le colosse industriel, Tata Motors, voit ses ventes chuter de 60% sur son propre marché.

Lorsque le fleuron industriel d'un pays, et un géant mondial, annonce que ses ventes sur son marché principal ont chuté des deux tiers, il y a généralement une crise qui guette à l'horizon. Et c'est le temps de sonner l'alarme.

Le numéro un de l'automobile en Inde, Tata Motors - constructeur de la microvoiture Nano et propriétaire des marques prestigieuses Jaguar et Land Rover - vient de le faire, en annonçant que les ventes dans son pays ont chuté de 59% (variation annuelle) en juillet.

L'endettement des ménages, le manque de confiance et la hausse des prix de l'essence ont dissuadé nombre d'acheteurs potentiels, déplore officiellement la direction de Tata. Mais en termes clairs, le groupe se dit victime d'une économie mal en point.

La situation en Inde est certes inquiétante, selon les experts. Les statistiques montrent une chute marquée et inattendue de la production industrielle (-2,2%) en juin. Un autre coup dur pour le géant asiatique, déjà confronté à une inflation galopante, qui frôle les 10%, et à une croissance prévue cette année ("5,5%) qui sera la plus faible... en 10 ans. S'ajoutent des scandales de corruption qui paralysent le gouvernement et rebutent les investisseurs étrangers.

Or, l'élément marquant de cette crise est sans doute la chute de la roupie, tombée à un creux historique contre le dollar américain. La devise indienne s'est dépréciée de 14% depuis mai contre le billet vert et de 16% contre l'euro. Une culbute qui témoigne, entre autres, du manque de confiance des étrangers qui, il y a trois ou cinq ans, faisaient la file pour investir en Inde.

Les investissements directs étrangers (IDE) ont d'ailleurs chuté de 40% en 2012 et, d'après les chiffres publics, la dégringolade se poursuit cette année.

Mesures draconiennes

Pressées d'agir, les autorités ont instauré mercredi des mesures draconiennes pour freiner la sortie de devises du pays et rétablir l'équilibre des flux monétaires (balance du compte courant).

Désormais, les entreprises indiennes ne pourront investir à l'étranger que 100% de leur valeur nette contre 400% auparavant. Et les Indiens ne pourront sortir du pays plus de 75 000$US par an, contre 200 000$US précédemment. Bref, on érige des barrières pour contenir l'hémorragie.

La glissade de la roupie alourdit le coût des importations, alimente l'inflation et creuse le déficit commercial, qui a atteint un record de 191 milliards US durant l'année fiscale 2012-2013 (terminée au 31 mars). Et la hausse des prix, surtout des aliments, est un sujet sensible dans un pays de 1,2 milliard d'habitants où près de 70% de la population gagne moins de 2$ par jour.

L'Inde importe surtout des matières premières, ce qui assure 80% de ses besoins énergétiques. Or, on peine à trouver les capitaux étrangers pour financer ce déficit. Ces capitaux ont pris le chemin des autres pays, dont les États-Unis.

Ne touchez pas à l'or!

Dans un geste qui frappe au coeur des traditions indiennes, le gouvernement vient en plus de décréter des restrictions sur les importations d'or.

«La ruée vers l'or» n'est pas uniquement le titre d'un film célèbre dans ce pays. Dans les réunions de famille, les naissances ou les mariages, on voit de l'or briller sur toutes les tables. Riches et moins riches en achètent autant qu'ils le peuvent.

L'Inde, qui produit très peu d'or, en consomme 800 tonnes par an, dont 80% servent à faire des bijoux. Premier acheteur mondial devant la Chine (à eux deux, ils accaparent 50% de la demande mondiale), l'Inde a acquis 400 tonnes d'or à l'étranger, rien que pour le deuxième trimestre 2013, selon le World Gold Council.

Mais cette passion creuse le déficit extérieur, affaiblit la monnaie, attise l'inflation... Bref, c'est une menace pour l'économie.

Pour la firme Nomura Holdings, toutes ces mesures sont cependant "décevantes" car elles ne ciblent pas les problèmes profonds de l'Inde, comme son lourd déficit budgétaire. «Il faut des réformes structurelles», rajoute la Banque HSBC dans une étude, en rappelant qu'il faut libéraliser les secteurs de la finance, de l'énergie et du commerce de détail.

Entre-temps, les yeux sont tournés vers une vedette de la finance mondiale, Raghuram Rajan, ex-économiste en chef du FMI (Fonds monétaire international), qui prendra la tête de la banque centrale en septembre. Mais celui-ci a un énorme défi à relever, selon les experts.

Une lueur d'espoir dans ce sombre tableau: les exportations ont grimpé de 11% en juillet, aidées par une roupie dépréciée. Comme en Europe, c'est peut-être le commerce extérieur qui remettra l'Inde en marche.