Avec un pactole de 3400 milliards US en réserves monétaires, la Chine a commencé à diversifier ses investissements étrangers, délaissant ses placements prudents dans les obligations d'État. Les Chinois préfèrent de plus en plus les actifs tangibles dont la valeur est déprimée. Leur magasin préféré: l'Europe.

L'Europe va mal. L'économie rétrécit, le chômage grimpe sans cesse, et les jeunes quittent le navire. Décourageant? Non, une occasion en or pour la Chine qui continue de faire son marché sur le Vieux Continent, avec appétit.

D'après le fonds A Capital, une firme de Pékin qui fait un relevé trimestriel («dragon index») des investissements outre-frontière, c'est même la zone euro qui attire la plus grande part des capitaux chinois.

La firme se base sur les fusions-acquisitions menées par des groupes chinois à l'étranger. En 2012, l'Europe a recueilli 33% des fonds investis, soit 12,6 milliards US. Un record. C'est nettement plus qu'en 2011 (10,4 milliards US) et très loin devant l'Amérique du Nord, avec environ 5,5 milliards US. Un résultat surprenant, vu la reprise économique en cours aux États-Unis, qui devrait en principe attirer les investisseurs.

De toute évidence, les investisseurs chinois sont attirés par les actifs européens vendus à des prix attrayants en cette période de crise. Un petit retour sur 2012 montre que les Chinois ont d'ailleurs fait de belles prises.

Ils ont mis la main notamment sur des géants industriels allemands en difficulté, dont Kion Group (machinerie) et Putzmeister (cimenterie), et le producteur britannique de céréales Weetabix.

China Investment Corp., le plus important fonds d'investissement étatique en Asie, a aussi pris une participation minoritaire dans des infrastructures britanniques stratégiques, incluant l'aéroport Heathrow et la Thames Water Utility. C'est une percée au coeur du royaume de Sa Majesté. Sans oublier que des fonds chinois ont fait des achats importants au Portugal et en Grèce, deux pays à vendre à la découpe ces temps-ci.

Le fait que l'Europe attire plus de capitaux chinois que les États-Unis, malgré la prise de contrôle très médiatisée l'an passé de Wanda sur la chaîne de cinémas AMC Theatres, témoigne de l'accueil souvent glacial des Américains.

Washington est particulièrement vigilant quant aux investissements étrangers sur son territoire, et cela a pour effet de décourager les avances des acquéreurs. Dans ce domaine, le cadre réglementaire est plus souple en Europe qu'aux États-Unis où, par exemple, «le Sénat peut bloquer, de manière arbitraire, des investissements», explique dans une note financière André Loesekrug-Pietri, fondateur d'A Capital.

Les Chinois apprécient également le savoir-faire européen dans l'énergie, l'eau, les transports, l'automobile et l'aéronautique, tous des secteurs appelés à développer en Chine.

Les entreprises chinoises ont «besoin de savoir-faire, et c'est en Europe que se trouvent les meilleures technologies», affirme le responsable.

D'autres noms? Volvo (Suède), le port de Pirée (Grèce), McCormick (France)... autant d'entreprises ou d'actifs de valeur qui ont aussi été cueillis comme des fruits mûrs par les Chinois depuis 2009 pour leur valeur stratégique à long terme.

Devise plus forte

Sans faire de bruit, la devise chinoise - le yuan - continue aussi de s'apprécier, ce qui rend les acquisitions étrangères plus alléchantes. Par exemple, en 2006, il fallait 8,2 yuans pour acheter 1 dollar US. Or, la semaine dernière, ce taux de change s'établissait à 6,2 yuans/1$US. Un bond de 25%.

Tout indique que la Chine poursuivra ses emplettes. Selon les données publiées la semaine dernière par le ministère chinois du Commerce, les investissements directs du pays à l'étranger ont totalisé 4,9 milliards US en janvier, soit une hausse de 12,3% sur un an. Et en février, le constructeur automobile Geely a racheté Manganese Bronze, le manufacturier des taxis noirs de Londres, un symbole britannique qui était au bord de la faillite.

Fait intéressant, l'enquête d'A Capital montre un effondrement (- 65% en 2012) des transactions chinoises dans le reste de l'Asie, essentiellement en raison du manque d'opérations d'envergure. Pourtant, la Chine place ses pions dans de plus en plus de pays. De 17 destinations en 2005, les investissements chinois se retrouvent aujourd'hui dans 117 pays, selon une étude de l'Economist Intelligence Unit, l'unité de recherche de la revue The Economist.

Manifestement, les Chinois n'ont pas l'intention de laisser 3400 milliards US dormir sous le matelas.