Le fisc ne restera pas sourd aux révélations sur les comptes que possèdent 450 contribuables canadiens dans les paradis fiscaux mis au jour par la presse internationale après 15 mois d'enquête. Tant à Québec qu'à Ottawa, les fonctionnaires des agences du revenu sont prêts à passer en mode vérification à mesure que l'identité des contribuables sera connue.

La ministre du Revenu du Canada, Gail Shea, demande au consortium de journalistes d'enquête qui détiennent les documents de dévoiler l'identité des contribuables, rapporte notre bureau à Ottawa.

À Revenu Québec, l'intérêt n'est pas moins grand. «C'est certain qu'on suit ça de très près, dit son porte-parole, Stéphane Dion. Soyez assurés que toutes les informations pertinentes qu'on va recevoir seront analysées à leur juste valeur. Cependant, ce sont des dossiers qui sont très complexes, qui nécessitent beaucoup de vérifications et d'analyses.»

L'Agence du revenu du Québec a intensifié ses efforts de lutte contre l'évitement fiscal du côté des paradis fiscaux dans les dernières années, notamment par le truchement de sa direction de lutte contre les planifications fiscales abusives.

Cette division a récupéré 98 millions de dollars pour l'année financière 2012-2013 et 81 millions l'année précédente, «principalement dans les paradis fiscaux», précise Stéphane Dion. Le montant récupéré par la direction de lutte contre les planifications fiscales abusives a été multiplié par huit depuis 2008-2009.

Mercredi, Radio-Canada a révélé que l'avocat de notoriété nationale Tony Merchant détenait 1,7 million dans un compte offshore aux îles Cook. Or, il appert que M. Merchant n'a pas indiqué dans sa déclaration de revenus qu'il détenait plus de 100 000$ à l'étranger. Il aurait dû aussi produire le bilan de ses avoirs.

«C'est extrêmement intéressant, ce qui sort. Il y a comme un tabou qui a été enfreint. On a accès à des informations incroyables qui nous ont toujours été cachées, se réjouit Claude Vaillancourt, président de l'organisme Association pour la taxation des transactions financières pour action citoyenne (ATTAC-Québec), qui mène une campagne contre les paradis fiscaux.

M. Merchant s'expose à des sanctions sévères s'il s'avérait qu'il a tenté d'éluder l'impôt. «Les amendes peuvent atteindre 200% de l'impôt à payer sur le montant éludé, et les peines d'emprisonnement peuvent aller jusqu'à cinq ans», lit-on dans le document Utiliser les paradis fiscaux pour ne pas payer d'impôt, de l'Agence du revenu du Canada.

L'ARC ne nous avait pas rappelé au moment de mettre sous presse.

Le Canada a conclu 19 accords d'échange de renseignements fiscaux avec autant de paradis fiscaux depuis 2009, mais les îles Cook n'en font pas partie.

Accords insuffisants

Selon Gabriel Zucman, chercheur à l'École d'économie de Paris, que nous avons joint hier, ces accords sont insuffisants. La solution aux sommes dissimulées par les paradis fiscaux passe par la transmission automatique d'informations bancaires, comme ça existe entre les pays de l'Union européenne.

En regardant les statistiques du Fonds monétaire international sur les passifs et les actifs des pays, M. Zucman a estimé à 6000 milliards US les sommes dissimulées dans les paradis fiscaux, soit environ 8% du patrimoine financier des ménages. Ces conclusions ont été publiées dans une revue savante financière.

«J'espère que ces révélations du Offshore Leaks vont contribuer à une prise de conscience que la fraude fiscale dans les paradis fiscaux, c'est quelque chose de massif; qu'il faut absolument faire quelque chose pour la réduire», dit M. Zucman.

En juillet 2012, en réaction à des compressions budgétaires, Revenu Canada avait abandonné le programme spécial d'exécution qui avait permis d'épingler la famille Rizzuto pour un magot de 5,2 millions caché en Suisse.

Un autre programme, celui des enquêtes criminelles, avait été réorganisé. Revenu Canada s'était défendu à l'époque de toute diminution de services, dans un courriel.

Le professeur de droit fiscal André Lareau souhaite que les révélations inciteront l'État à regarnir les rangs de ses enquêteurs. «La lutte à l'évasion fiscale, c'est une question de ressources.»