Pour un pays se réclamant officiellement du communisme, la Chine vient de faire un aveu surprenant, voire humiliant, en dévoilant un rapport qui place l'empire du Milieu parmi les nations les plus inégalitaires du monde.

Le fossé entre riches et pauvres au pays de Mao Zedong est même plus profond que dans la plupart des économies capitalistes avancées. De quoi balancer son «Petit livre rouge» par la fenêtre.

Il y a deux semaines, le gouvernement chinois a publié une mesure des inégalités sociales dans ce pays de 1,3 milliard d'habitants. Il s'agit d'une première confession en plus de 10 ans. Le constat est dévastateur.

À tel point que Pékin a dû réagir rapidement en annonçant, la semaine dernière, une vaste réforme pour s'attaquer aux inégalités sociales.

Pire que l'Occident

Un seul petit chiffre a secoué profondément le pouvoir en Chine: le coefficient de Gini. Cet indicateur mondialement reconnu des inégalités sociales s'est élevé, selon le gouvernement chinois, à 0,474 l'an dernier.

Dans le jargon «Gini», la valeur 0 représente une égalité parfaite de revenus entre tous les citoyens. L'utopie, en somme. Tandis qu'une valeur de 1 signifierait que tous les revenus dans un pays reviennent à une seule personne. Autrement dit, un maître et ses esclaves.

La valeur 0,4 est généralement reconnue comme le seuil critique. Ainsi, selon l'Organisation des Nations unies, le Canada (0,326 en 2007-08), la France (0,327) et l'Allemagne (0,27) ont un bilan socio-économique nettement plus égalitaire que celui de la Chine.

Dans le groupe de pays en zone d'alerte, on retrouve les États-Unis (0,45 en 2007) - qui font néanmoins meilleure figure que la Chine à ce chapitre - ainsi que la Thaïlande (0,536) et l'Afrique du Sud (0,65 en 2005).

Pour la Chine, la confirmation d'une telle fracture entre nantis et démunis est d'abord gênante devant l'Occident. Le problème des inégalités sociales est l'une des menaces les plus pressantes de l'heure, avec la pollution et la relance de l'économie.

La situation est peut-être même pire qu'on le dit. L'an passé, une étude d'une université de la province de Sichuan a calculé que l'indice Gini avait bondi à 0,61, plaçant la Chine dans un club peu recommandable.

Reste que tous les chiffres «montrent que l'écart des revenus est plutôt important», a reconnu le directeur du Bureau national des statistiques (BNS), Ma Jiantang, lors d'une conférence de presse. Ces données reflètent «l'urgence d'agir», a-t-il ajouté.

Le baromètre Gini fait non seulement mal paraître le modèle chinois, il risque d'attiser la grogne des ouvriers sous-payés, qui multiplient depuis trois ans les manifestations devant les usines afin d'obtenir de meilleures conditions de travail.

La réforme

Attendu depuis longtemps, le projet de Pékin pour s'attaquer aux inégalités a donc été dévoilé en vitesse mercredi dernier.

La réforme, annoncée par le Conseil d'État, prévoit notamment d'augmenter les dividendes versés par les entreprises d'État. On veut également élargir l'assiette de l'impôt foncier, prélever des taxes sur les produits de luxe et «étudier» la mise en place de droits de succession.

Globalement, le Conseil a fixé un objectif ambitieux: augmenter les revenus les plus bas et «ajuster» ceux qui sont «excessivement élevés». Concrètement, cela signifie de hausser le revenu minimum à au moins 40% du salaire moyen - une mesure encore hypothétique, mais qui irrite déjà bon nombre d'industriels chinois, selon des agences de presse.

«Certains problèmes manifestes de répartition des revenus doivent être rapidement résolus», affirme le Conseil sur son site. Un problème est particulièrement épineux. «L'écart entre villes et campagnes [...] est assez élevé, les revenus sont distribués irrégulièrement.»

À cet égard, les promoteurs immobiliers sont visés par la réforme. On envisage de généraliser une taxe foncière, actuellement testée dans quelques villes, qui pourrait avoir un impact négatif sur les investissements dans la brique et le mortier. Le texte appelle à améliorer le sort des populations rurales, en indemnisant mieux les paysans cédant leurs terres pour des projets immobiliers.

Si Pékin va de l'avant avec toutes ces réformes, c'est une véritable révolution qui s'amorce.

Hier, la Chine a célébré son Nouvel An, qui marque le début de l'année du Serpent. Dans l'astrologie chinoise, le Serpent est symboliquement associé à la sagesse et à la réflexion.

En s'attaquant aux inégalités sociales, le gouvernement s'inspire donc du Serpent et tourne le dos aux extravagances égocentriques du Dragon, le symbole rituel de la dernière année. Un important chapitre de l'histoire chinoise vient d'être tourné.

368$

À la fin de 2011, la Chine a revu à la hausse le seuil de pauvreté, qui était de 1274 yuans (204$CAN) précédemment, à 2300 yuans - ou 368$CAN - en revenus annuels. Sur cette base, on dénombre environ 100 millions de pauvres au pays.

13%

Environ 13% de la population, ou 173 millions de Chinois, vivaient avec moins de 1,25$US par jour en 2008.