La crise financière a failli emporter deux des plus grandes banques du Royaume-Uni. Le gouvernement est arrivé à la rescousse. Mais en échange, les financiers de Londres ne pourront plus se comporter comme si la City leur appartenait. Une série de réformes changera les pratiques et les rémunérations. Mais ces transformations sur fond de crise en Europe se font dans la douleur, avec des licenciements massifs. Pour autant, les Britanniques n'ont pas pitié de leurs banquiers.

Alain Carrier se souvient de ses premiers jours à Londres comme si c'était hier. Au printemps de 1997, cet avocat québécois y a déménagé de New York, une ville qui n'est pourtant pas réputée pour sa frugalité. À son arrivée chez Goldman Sachs, il a été frappé par le train de vie des Londoniens, qui dépensaient sans penser au lendemain.

«À Manhattan, les gens prennent des taxis. Ici, ils conduisent des Ferrari», note Alain Carrier, aujourd'hui responsable du bureau européen de l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada (RPC). Il suffit de marcher dans Sloane Street un vendredi soir pour s'en convaincre, puisque le défilé des Maserati et Lamborghini, entre autres, donne à penser qu'on se trouve dans le parc d'un concessionnaire de luxe.

Des lendemains, il y en a eu. Le krach des technos de 2000. Le 11 septembre 2001. Les attentats dans le métro de 2005. Mais aucun n'a été plus brutal pour Londres que la crise financière de 2008. Une crise dont les répercussions se font toujours autant sentir.

Comme aux États-Unis, le gouvernement britannique a été forcé de renflouer plusieurs banques au détriment de ses finances publiques. Il est ainsi devenu le premier actionnaire de la Royal Bank of Scotland (RBS) et du Lloyds Banking Group, avec des participations de 83% et de 43%, respectivement.

Ce sauvetage a polarisé les Britanniques. Et ce débat n'est pas près de s'éteindre, puisque le gouvernement n'entrevoit pas le jour où il sortira définitivement du capital de ces institutions qui affichent encore de lourdes pertes.

Pour que pareille crise ne se reproduise plus, le gouvernement de David Cameron envisage une série de réformes pour encadrer de façon plus stricte le secteur financier (voir encadré).

«Il y a tellement de réformes qui sont actuellement débattues qu'il est encore trop tôt pour avoir une appréciation des nouvelles règles. La seule chose qui soit en vigueur, c'est le nouveau code qui balise la rémunération», dit Philip Ingram, directeur administratif d'UBS, au siège social londonien de cette banque suisse.

En gros, cette réforme prévoit qu'une plus grande proportion de la rémunération soit fixe. Quant à la rémunération variable, elle est échelonnée sur un plus grand nombre d'années. Mais cette réforme n'a pas apaisé la grogne des Britanniques, qui se hérissent dès qu'il est question de «bonus».

«Ce débat existe aussi aux États-Unis, mais à Londres, il y a une sensibilité nettement plus marquée au niveau de la rémunération des banquiers et des dirigeants d'entreprises publiques», dit Alain Carrier, aussi chef des placements en infrastructures de l'Office d'investissement du RPC.

Les Britanniques ont dénoncé avec férocité la prime que le conseil de RBS a accordée à son chef de la direction, Stephen Hester, au moment où cette banque annonçait le licenciement de 3500 autres salariés. RBS a pourtant recruté Stephen Hester après la crise pour qu'il redresse l'institution financière. Le tollé a été si fort que ce dirigeant a finalement remis sa prime de 963 000 livres (1,5 million de dollars) fin janvier.

Même chose pour six dirigeants de Network Rail qui ont renoncé, en février, à leurs primes incitatives. Le fond de l'air est si mauvais que le ministre des Finances, George Osborne, est intervenu pour dénoncer une «culture antibusiness».

«Si vous avez une équipe de banquiers en poste à Londres, aurez-vous plus de mal à les rémunérer et à les fidéliser que votre compétiteur de New York qui n'a pas à composer avec des règles de rémunération strictes?», demande un banquier européen qui a réclamé l'anonymat.

«La City s'inquiète de toute mesure réglementaire qui pourrait rendre le centre financier de Londres moins concurrentiel, mais cette préoccupation ne date pas de la crise», renchérit Philip Ingram.

Si le nouveau cadre réglementaire n'est pas coulé dans le béton, le ressac des marchés, lui, est bien réel. Moins de transactions, moins d'effet de levier, moins de profits, moins de primes et moins de folies. Le jour de notre visite aux bureaux d'UBS, sur l'écran télévisé de la réception, une chaîne d'information continue annonçait que la cagnotte des primes d'UBS serait réduite de 40%.

Pour Alain Carrier, le ralentissement des activités est patent chez les banques d'investissement et les fonds d'investissement privés.

Comme investisseur dans les infrastructures, l'Office, qui investit la caisse du RPC pour assurer les vieux jours de 18 millions de Canadiens, est aussi affecté. Les nouvelles règles internationales qui forcent les institutions financières à accroître leurs réserves en capital ont refroidi l'intérêt des prêteurs.

«On ne nous offre plus autant de dette qu'auparavant, et cette dette n'est plus d'aussi longue durée», dit Alain Carrier. Les investisseurs institutionnels qui pouvaient emprunter sur 7 ou 10 ans doivent parfois se contenter d'emprunts de 3 ans, explique-t-il dans ses bureaux qui donnent sur un joli square privé.

«L'appétit pour la prise de risque a beaucoup baissé. Il faut réunir plus d'institutions dans le syndicat bancaire pour atteindre la somme dont on a besoin.» Conséquence: les transactions sont plus complexes et plus longues à ficeler.

Mais ces difficultés ne sont pas le propre de Londres. C'est la nouvelle réalité de l'industrie. «Nous sommes en voie de devenir une industrie conservatrice et ennuyeuse», dit Philip Ingram, d'un ton mi-figue, mi-raisin.

Aussi, même si la City est inéluctablement affaiblie par les difficultés économiques de l'Europe, tous s'entendent sur une chose. Tant que les aiguilles de Big Ben tourneront, Londres restera Londres: la première place financière d'Europe.

Le secteur financier dans la mire des régulateurs:

Cloisonnement

La commission indépendante sur les banques, présidée par John Vickers, propose d'isoler, au sein des institutions financières, les activités bancaires traditionnelles des activités d'investissement et de négociation plus risquées. Le gouvernement se portera seulement garant des activités bancaires de base. Les banquiers auront toutefois une certaine latitude pour établir où se trouvera la frontière.

Les banques devront aussi mettre plus de capitaux de première qualité en réserve que ne l'exigent les dernières conventions internationales (Bâle III).

Le secteur financier a jusqu'en 2019 pour mettre en oeuvre cette réforme qui pourrait lui coûter entre 4 et 7 milliards de livres.

Rémunération

Le Royaume-Uni a déjà adopté un code qui balise la rémunération en privilégiant une plus grande proportion de salaire fixe. À l'avant-garde du vote consultatif sur la rémunération, le pays propose de rendre ce vote exécutoire.

Les actionnaires auraient droit de vie ou de mort sur les politiques de rémunération des sociétés. Les indemnités de départ des dirigeants qui excèdent une année de salaire seraient aussi soumises à un vote exécutoire des actionnaires.

Impôt sur les banques

En 2011, le gouvernement a introduit un impôt sur le bilan des banques opérant au Royaume-Uni. Cet impôt vise à décourager les activités de financement les plus risquées. Ainsi, il ne s'applique pas aux réserves et aux autres capitaux de première qualité. Déjà relevé à deux reprises, cet impôt devrait rapporter 3 milliards de livres par année au Trésor britannique.

Taxe sur les transactions financières

Même si le Royaume-Uni a sa propre stamp duty, une taxe de 0,5% sur les achats d'actions, le premier ministre David Cameron a opposé une fin de non-recevoir à la taxe sur les transactions financières proposée par la Commission européenne.