Au Canada, les trois quarts des travailleurs dans le secteur privé n'ont aucun régime de retraite. Comment faire pour combler cette lacune? Face à une situation semblable, la Norvège a obligé tous les employeurs à offrir une couverture de retraite minimale à leurs employés. Depuis, 600 000 travailleurs additionnels ont accès à un régime privé.

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Ce matin, Alexandre Darrous pose la céramique sur le plancher de sa pâtisserie qui ouvrira bientôt ses portes dans Frogner, quartier aristocratique d'Oslo, juste derrière le Palais royal. Cafés au lait, sandwichs aux crevettes et saumon fumé, brioches à la cardamome typiquement scandinaves: le concept de Kanel Bakeri connaît déjà beaucoup de succès dans la première boutique inaugurée il y a presque deux ans dans une banlieue rapprochée de la capitale norvégienne.

La petite entreprise emploie douze personnes à temps plein et huit à temps partiel. Elle embauchera quatre autres employés sous peu. Et comme toutes les sociétés norvégiennes, Kanel devra leur offrir un régime de retraite. C'est obligatoire.

En 2006, le gouvernement a forcé tous les employeurs à mettre la main à la pâte pour financer les vieux jours de leurs employés. Cette mesure s'inscrivait dans le cadre d'une vaste réforme qui a reconfiguré tout le système de retraite en Norvège.

«Je ne le savais même pas!» confesse Alexandre Darrous, en se remémorant le lancement de Kanel Bakeri en 2009. Il s'est dépêché d'appeler sa compagnie d'assurances qui lui a proposé un régime de retraite clé en main. Quatre jours plus tard, tout était réglé. «Il fallait que je fasse vite, pour me conformer à la loi», raconte l'entrepreneur d'origine française qui s'est installé en Norvège il y a 10 ans.

Chaque année, Kanel verse dans le régime de retraite 2% du salaire de ses employés, le minimum requis par la loi. «Finalement, ce n'est pas énorme. On ne l'a pas vu passer parce que nous avons connu un succès financier. Mais si nous nous étions trompés sur le concept, ç'aurait peut-être été plus difficile», convient-il.

Régime de retraite pour tous

Avant la réforme en Norvège, presque la moitié (45%) des travailleurs dans le secteur privé n'avaient pas de régime de retraite avec leur employeur. Il s'agissait souvent de travailleurs autonomes ou d'employés de PME dans des secteurs comme la restauration et de l'hôtellerie notamment. Au Canada, la situation actuelle est encore plus alarmante: plus des trois quarts des employés du secteur privé ne bénéficient d'aucun régime de retraite.

Mais la réforme en Norvège a rapidement changé la donne. Quelque 600 000 travailleurs profitent désormais d'une couverture de retraite modeste avec leur employeur, alors qu'ils n'avaient droit à rien auparavant, au-delà du généreux régime public. En fait, le nombre de participants actifs à un régime de retraite dans le secteur privé a bondi d'environ 600 000 en 2005 à près de 1,2 million en 2009, indique Simen Lunaas, consultant chez Mercer Norway, firme spécialisée en ressources humaines.

Beaucoup d'employeurs s'en tiennent au minimum, soit une contribution annuelle de 2% sur les revenus d'emploi allant d'environ 12 500$ à 151 000$. Pour un salarié moyen qui gagne l'équivalent de 65 000$, l'employeur doit donc verser au moins 1300$ par année.

Mais bien des entreprises norvégiennes offrent davantage pour attirer et retenir la main-oeuvre dans un pays où le taux de chômage est d'à peine 3%. Les employeurs peuvent contribuer jusqu'à 5% sur les revenus allant d'environ 12 500$ à 75 500$, et jusqu'à 8% sur les revenus allant de 75 500$ à 151 000$. Ainsi, le patron le plus généreux peut verser environ 9000$ par année dans le régime de retraite d'un salarié en haut de l'échelle qui gagne 151 000$.

La grogne vite digérée

Étonnamment, ce sont des groupes patronaux qui ont réclamé la mise en place d'un régime de retraite obligatoire. Ils souhaitaient plus d'uniformité entre les entreprises. Reste que cette contrainte a suscité du mécontentement chez les PME.

Pour une petite entreprise qui ne bénéficie pas d'économie d'échelle, «la création et l'administration d'un régime de retraite pour une poignée d'employés augmentent considérablement les coûts de la main-d'oeuvre, ce qui avantage clairement les grandes entreprises», expose Patrik Marier, professeur à l'Université Concordia et titulaire d'une chaire de recherche en politiques publiques comparées.

Mais les PME ont digéré la réforme très vite. La première année, seulement neuf entreprises dans toute la Norvège ont reçu un avertissement. À peine quatre se sont fait donner un ordre officiel de se conformer à la loi. Et toutes ces sociétés sont entrées dans le rang avant la fin de l'année, rapporte M. Marier.

Pour réduire les coûts, les employeurs se sont regroupés. Ils avaient avantage à négocier des frais de gestion raisonnables, car la loi les oblige à assumer tous les coûts relatifs à leur régime de retraite.

Ainsi, la Confédération des entreprises norvégiennes (NHO), qui regroupe quelque 20 000 employeurs, a négocié avec différents fournisseurs de régimes de retraite. Ensemble, ils ont obtenu une solution de placement à frais modiques auprès de Storebrand, le numéro deux de l'assurance en Norvège. «Pour un portefeuille équilibré, les frais de gestion sont d'environ 0,4% de l'actif», note Simen Lunaas. Une bagatelle.

Des choix difficiles

Si l'employeur détermine les paramètres du régime de retraite, ce sont les employés qui doivent faire leurs propres choix de placements. La plupart du temps, les régimes n'offrent que trois options aux participants: un portefeuille sécuritaire (80% en obligations), équilibré (moitié-moitié entre actions et obligations) ou dynamique (80% en actions).

«Les gens n'aiment pas faire des choix dans un domaine qu'ils ne connaissent pas tellement. Ils ont peur de se tromper. Ils préfèrent avoir seulement trois options», dit Agnes Bergo, qui dirige la firme de conseils financiers Pengedoktoren AS, littéralement le Docteur des pensions.

Mais l'entreprise peut aussi laisser ses employés choisir leurs placements à la carte, parmi tout l'éventail de fonds offerts par l'institution financière. «Pour les gens qui ont des connaissances financières, c'est l'option que j'aime. De cette façon, on peut structurer le portefeuille pour qu'il corresponde exactement à ses besoins particuliers», dit Mme Bergo, qui épaule les employés dans leurs choix de placement.

Par contre, cela ouvre la porte aux excès, dans un sens comme dans l'autre. Trop de risque... ou pas assez. Souvent, les femmes sont trop prudentes. Elles préfèrent ne pas trop investir dans les actions. Avec un horizon de placement très lointain, elles pourraient se permettre de prendre plus de risques pour obtenir de meilleur rendement... et une retraite plus confortable.

«Mais il faut avoir une bonne connaissance des marchés, convient Mme Bergo. Et ceux qui n'en ont pas sont ceux qui ont le plus à perdre de ce système.»