En accusant les États-Unis de «poser des problèmes» au monde en inondant leur économie d'argent liquide, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble a exprimé avec une vigueur inhabituelle les réserves de l'Allemagne face à la stratégie de relance américaine.

Évoquant l'injection par la Réserve fédérale de 600 milliards de dollars US dans l'économie américaine, décidée mercredi, le ministre conservateur a asséné: «Je ne crois pas que les Américains vont résoudre leurs problèmes de cette manière et je crois qu'ils vont poser des problèmes supplémentaires au monde».

«Nous allons aborder ce sujet (...) lors du sommet du G20 la semaine prochaine en Corée du Sud», a-t-il poursuivi dans une interview à la chaîne ARD, diffusée dans la nuit de jeudi à vendredi.

«Je souhaite évidemment aux Américains de résoudre vite et bien leurs gros problèmes, mais s'ils regardent les succès de l'Allemagne ils constateront que ce n'est pas en faisant encore plus de déficits qu'ils y arriveront», a conclu le ministre conservateur.

Wolfgang Schäuble peut se permettre ce sermon, alors que l'Allemagne profite d'une croissance qui en fait le moteur de toute l'Europe, et voit son déficit public fondre beaucoup plus vite que prévu.

Le ministre de l'Économie Rainer Brüderle avait, lui, exprimé dès jeudi son «inquiétude» face aux initiatives américaines.

La vigoureuse économie allemande, nourrie essentiellement par les exportations, redoute que la décision de la Réserve fédérale n'envoie le dollar par le fond, ce qui rendrait les produits de la zone euro moins compétitifs.

La ministre française de l'Économie Christine Lagarde a également regretté jeudi que «l'euro porte le poids» de la décision de la Fed.

Aujourd'hui, il n'y a plus guère que le président Jean-Claude Trichet pour affirmer, comme il l'a fait jeudi: «Je crois (l'assurance des autorités américaines) selon laquelle il est dans l'intérêt des États-Unis d'avoir un dollar fort.»

Pour Jörg Krämer, chef économiste de la Commerzbank, il n'y a pas lieu de s'affoler à propos des taux de change: «le cours de l'euro face au dollar va conserver sa tendance à la hausse mais il ne devrait pas crever le plafond, car la zone euro a aussi ses problèmes», explique-t-il à l'AFP.

Pour lui, la Fed risque surtout d'encourager «de nouveaux excès sur les marchés financiers», par sa politique de «l'argent facile».

Or rien n'est plus étranger à la conception allemande de la politique monétaire que «l'argent facile»: traumatisée par une inflation folle dans les années 1930, qui a encouragé la montée du nazisme, l'Allemagne s'est toujours posée depuis 1945 en garante de la rigueur monétaire et de la stabilité des prix.

Aussi profondes que soient les divergences avec Washington, il est plutôt inhabituel pour Wolfgang Schäuble de se poser ainsi en donneur de leçons.

Cette attitude était davantage le propre de son prédécesseur, le social-démocrate Peer Steinbrück, qui avait tancé les États-Unis le 25 septembre 2008, affirmant que «la crise financière était avant tout un problème américain.»

Quatre jours plus tard, l'État allemand devait sauver en urgence la banque immobilière HRE, sous peine de voir se reproduire en Europe le cataclysme de la faillite de l'américaine Lehman Brothers.