Reviendra-t-il finalement aux tribunaux de ramener à un niveau raisonnable les salaires des dirigeants des grandes entreprises?

La question est d'actualité en France, où s'est déroulé il y a quelques jours un singulier procès mettant en vedette Antoine Zacharias, ex-PDG du géant des travaux publics Vinci.

Le retraité de 70 ans était accusé devant un tribunal de Nanterre d'abus de biens sociaux. Il s'agissait de l'aboutissement d'une enquête réclamée par de petits actionnaires outrés de la rémunération de l'ancien patron, passible d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans.

 

M. Zacharias recevait au moment de son départ forcé de l'entreprise en 2006 un salaire annuel de plus de 6 millions de dollars auquel s'est ajouté une indemnité de près de 20 millions et une «retraite-chapeau» de 3 millions par année. Le procureur Philippe Courroye lui reprochait d'avoir manoeuvré pour placer au conseil d'administration des membres favorables à ses intérêts de manière à légitimer des pratiques de rémunération assimilables à un détournement de fonds.

Loin de se montrer troublé par l'accusation, M. Zacharias a contre-attaqué devant la cour en soulignant que sa rémunération avait été fixée en parfaite conformité avec les règles de gouvernance en vigueur.

Il a par ailleurs soutenu qu'elle était parfaitement justifiée en vue de la forte expansion enregistrée par l'entreprise sous sa gouverne.

«Moi au moins j'ai bossé pour ça, c'est moi qui suis à l'origine de ce groupe», a-t-il déclaré à la revue Marianne en déplorant que son successeur soit «aussi riche que lui» alors qu'il «n'a rien créé».

La juge responsable du dossier, en ordonnant vendredi la relaxe de l'accusé, lui a donné raison sur le fond. Elle a relevé que le conseil d'administration avait voté «sans émettre d'objection» une nouvelle formule de rémunération variable qui avait permis au PDG de faire exploser ses revenus.

«On va dans la démesure en terme de rémunération des dirigeants. Or, s'il n'y a pas de traitement judiciaire de ce type d'affaires, c'est la porte ouverte à beaucoup d'abus», a déploré Me Frédéric-Karel Canoy, représentant des petits actionnaires.

L'affaire, immédiatement portée en appel par le parquet, a été qualifiée de «fiasco» par certains médias, qui reprochent au procureur d'avoir tenté un coup d'éclat sans disposer d'éléments assez solides pour véritablement étayer sa thèse.

«Ce procès était ridicule. La rémunération dans le cas de M. Zacharias n'était pas acceptable sur le plan moral et éthique mais elle a été approuvée par le conseil d'administration. Elle ne pouvait pas être remise en cause sur le plan juridique», indique en entrevue le président de l'Association des petits porteurs actifs, Didier Cornardeau.

Le principal intérêt de la cause en question, juge-t-il, a été de mettre en relief les connivences qui existent entre les dirigeants et les membres du conseil d'administration.

M. Cornardeau pense qu'il est urgent d'interdire le cumul de postes sur les conseils d'administration et d'ouvrir ces mêmes conseils à des représentants des petits actionnaires. Il faut aussi, souligne-t-il, que les rémunérations et les modalités de calcul utilisées pour les fixer soient revues et approuvées par les assemblées d'actionnaires.

Le MEDEF, principale organisation patronale, ne veut pas de loi contraignante à ce sujet. Ses dirigeants, qui préconisent l'autorégulation, avaient accueilli avec satisfaction une réforme gouvernementale timorée compliquant le versement de primes de départ à des dirigeants dont l'entreprise a mal performé.

Un groupe de parlementaires, dans un rapport rendu public l'année dernière, a invité le gouvernement à légiférer plus avant pour faire cesser les «abus» mais ses propositions sont restées lettre morte.

Le président français Nicolas Sarkozy - qui ne cesse d'insister sur sa volonté de «moraliser» le capitalisme - a mis la pédale douce sur cette question, préférant intervenir ponctuellement sur les bonus des banquiers sans réviser véritablement les pratiques de rémunération en vigueur.