Malgré la crise économique, une vague d'entreprenariat déferle sur Bangalore, la ville qui dicte les tendances économiques de l'Inde depuis plus d'une décennie. Un phénomène qui risque fort de changer le visage du pays...mais qui ne profite pas à tous.

Le contraste frappe quiconque se dirige vers la Cité électronique, l'immense parc industriel de Bangalore. D'un côté s'entassent les cabanes de tôle, les mendiants et la poussière. De l'autre s'élèvent l'immense pyramide de verre et les bâtiments futuristes du géant indien Infosys au milieu d'une pelouse manucurée.

Entre les deux, les motos et les rickshaws zigzaguent entre les vaches sacrées et les voitures sur l'asphalte défoncé de l'imposant boulevard Hosur.

C'est dans les tours de verre d'Infosys que Niranjan Gowda a débuté sa carrière d'ingénieur.

Examiner son CV, c'est comprendre toute l'évolution de Bangalore et de l'Inde moderne.

Avec d'autres entreprises comme Wipro, Infosys fait partie des géants indiens qui ont popularisé l'idée de l'impartition – ce phénomène, aussi appelé outsourcing, qui pousse les entreprises occidentales à transférer une partie de leurs opérations en Inde pour réduire leurs coûts.

L'impartition est le pain et le beurre de l'Inde moderne. Elle a fortement contribué à propulser le pays parmi les champions mondiaux de la croissance économique et fonctionne pour une raison bien connue: la main-d'oeuvre indienne est à la fois bien formée et bon marché.

Niranjan Gowda gagnait 4000$ par année quand il est entré chez Infosys en 2004. Son rôle: tester un système de télécommunications mis au point par une certaine... Nortel.

«À un moment donné, j'ai vu que ça n'allait pas trop bien... Disons que j'ai laissé l'emploi avant qu'il ne me laisse.» 

Il est passé chez Huawei, une entreprise de télécommunications chinoise aussi débarquée à Bangalore pour profiter de ses ingénieurs à rabais. 

C'est d'abord le climat clément, puis le dynamisme généré par chaque nouvelle arrivée, qui a fait déferler les multinationales ici.

Le boom a donné naissance au Bangalore moderne qui effectue des tâches simples à faible coût pour le reste du monde. Celui où, quand la nuit tombe, des milliers jeunes convergent vers les centres d'appels pour répondre aux demandes des Américains et les Canadiens qui commencent leur journée.

Mais ce Bangalore est en train de donner naissance à une nouvelle version de la ville. Un «Bangalore 2.0» basé sur l'innovation et l'entreprenariat.

Le phénomène est simple. Dans le vaste terrain de jeux qu'est devenue leur ville, les jeunes comme Niranjan Gowda améliorent leur position en sautant d'une opportunité à l'autre (M. Gowda a fini par abandonner Huawei pour passer chez Nokia-Siemens, avant de lancer son entreprise).

Bangalore progresse au même rythme. 

Quand l'entreprise américaine Cisco a déménagé ici plusieurs de ses hauts dirigeants en 2007 pour y fonder un second siège social, plusieurs ont compris que la ville n'était plus seulement l'arrière-bureau du monde occidental.

IBM et Microsoft ont investi chacun quelques milliards de dollars pour implanter à Bangalore d'énormes centres de recherche. La montréalaise CGI fait aussi partie des entreprises qui, non contentes d'effectuer ici des tâches simples, y font également de la R&D.

Ce virage vers l'innovation met les jeunes Indiens en contact avec des emplois de plus en plus avancés. Et leur donne des idées pour se partir en affaires.

Sarayu Srinivasan est directrice d'Intel Capital, une branche du géant informatique Intel qui investit du capital-risque dans des entreprises en démarrage.

«Un riche écosystème a émergé autour des technologies de l'information, explique-t-elle. On a vu la création de bassins de talent et d'expertise, de fournisseurs de capitaux, de conseillers pour les entrepreneurs, d'institutions de formation, etc.

«Des gens de partout viennent ici et interagissent, continue Mme Srinivasan. Bangalore est devenu un point de migration naturel pour ceux qui ont des ambitions entrepreneuriales. Et un terrain fertile pour transformer des rêves en réalité.»