Le bruit des marteaux piqueurs se mêle à celui du trafic qui commence à déferler sur la Old Madras Road. Le soleil vient à peine de se lever et il fait encore sombre. Une forte odeur d'urine flotte dans l'air.

Il n'est que six heures du matin, mais le camp qui abrite les travailleurs qui construisent le nouveau système de transports en commun de Bangalore grouille déjà d'activité. Des hommes cuisinent sur des feux de bois ou mangent assis par terre. D'autres se brossent les dents avec leur doigt ou à l'aide d'une branche à l'extrémité émoussée. Une longe rangée de travailleurs urinent face à la route, à peine cachés par des buissons poussiéreux.

Akish Kumar, 18 ans, retire ses vêtements et va rejoindre la dizaine d'hommes en sous-vêtements qui se savonnent autour d'une grande cuve de ciment remplie d'eau.

Le jeune homme est venu de l'État du Madhya Pradesh, au nord de Bangalore, pour construire les infrastructures nécessaires au boom provoqué par les technologies de l'information.

Il vit ici avec 1500 travailleurs provenant de partout en Inde, sur un terrain vague coincé entre une autoroute à quatre voies et une autre en construction. Ils habitent dans des cabanes de tôle sans eau courante ni égouts.

Nous sommes ici dans l'autre Bangalore – celui qui travaille d'arrache-pied pour soutenir la croissance de la ville, mais qui n'en récolte que les miettes.

Akish Kumar travaille 12 heures chaque jour pour 150 roupies (un peu plus de 3,50 $ canadiens). L'entreprise qui l'emploie lui fournit la nourriture pour 250 roupies par semaine. Le reste, il l'économise.

«J'ai deux frères et deux soeurs, explique-t-il. Quand je vais avoir assez d'argent, je vais retourner chez moi.» 

Dans la cabane où il habite, la fumée dégagée par les feux de bois est si âcre qu'il est impossible d'y pénétrer sans tousser.  À raison de deux hommes par lit simple – de durs lits de camp en métal – ils sont dix à y vivre. À l'extérieur, un fossé rempli d'eau où flottent vieux souliers, coquilles d'oeufs et sacs de plastique attire les mouches. 

Vous devrez chercher longtemps, pourtant, pour trouver quelqu'un ici qui se plaint.

«Je travaille. C'est correct», dit Akish Kumar d'un ton sec.

«La compagnie s'en fout, finit toutefois par s'emporter Pradip Gupta, un contremaître de 33 ans qui vit ici depuis près d'un an. Ils nous promettent beaucoup. Puis on arrive et ils nous empilent dans des cabanes.»

L'homme relève ses pantalons pour montrer ses mollets couverts de morsures. «La nuit, les rats entrent dans les maisons.»

Il se ressaisit cependant rapidement et relève la tête.  

«Pour moi, c'est correct, dit-il d'un ton fier. Mais les jeunes qui arrivent se font parfois avoir. Il y en a qui travaillent douze heures par jour pour 80 roupies.»