Où joueront Nos Z'Amours en cas de renaissance ? À la demande de La Presse, la firme d'experts immobiliers Groupe Altus a désigné 10 terrains capables d'abriter un stade de balle de quelque 32 000 sièges, comme l'envisage le groupe piloté par Stephen Bronfman.

Le premier choix : le bassin Peel

Le terrain du bassin Peel convoité par Stephen Bronfman vaudrait au minimum 50 millions de dollars, selon des estimations, voire plus si le train de la Caisse de dépôt s'y arrête directement.

Ce terrain, en grande partie vacant et sous le contrôle du gouvernement fédéral, s'étend sur un peu moins de 1 million de pieds carrés. L'endroit pourrait être desservi par le Réseau express métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt, ce qui relierait le futur stade au centre-ville en moins de temps qu'il n'en faut pour engloutir un trio « hot dog-patate-liqueur ».

« On ne peut pas l'affirmer de façon définitive et finale, mais c'est de loin le meilleur emplacement », confie Pierre Boivin, président et chef de la direction de Claridge, dans un entretien téléphonique. 

« Il y a la taille, ça commence avec ça. C'est le plus proche du centre-ville. C'est voisin d'un quartier en effervescence [Griffintown] et c'est aussi sur le chemin du REM. »

L'emplacement exact de cette gare est toujours inconnu publiquement, mais il y aura assurément une station du REM au bassin Peel et son coût est compris dans le budget de référence du REM, assure Vincent Lacroix, porte-parole de CDPQ Infra.

De quoi parle-t-on ?

Le gouvernement fédéral, par le truchement de la Société immobilière du Canada (SIC), a la responsabilité d'un terrain de 900 000 pi2 occupant la moitié nord-est du quadrant formé par le canal de Lachine, le bassin Peel, les rues Mill et Bridge.

L'extrémité sud du quadrilatère est occupée par Loto-Québec, qui y a aménagé des bureaux administratifs, un centre de la petite enfance et un stationnement étagé.

Il faut au minimum 350 000 pi2 pour ériger un stade de baseball des ligues majeures. À titre d'exemple, Altus a calculé que le stade AT&T (capacité de 42 000 sièges) des Giants de San Francisco occupe 362 000 pi2.

Pouvoir mettre la main sur un vaste terrain permet de mieux rentabiliser l'achat en permettant de construire dans le voisinage du futur stade un projet axé sur le résidentiel ou le divertissement avec des commerces et des restaurants, à l'image de ce que fait Cadillac Fairview aux alentours du Centre Bell.

Le terrain en question est en bonne partie vacant. Des lots appartenant pour le moment au Port de Montréal sont loués à P&H Milling, entreprise de transport de céréales et producteur de farine. Le bail se termine en 2024, après quoi le terrain sera remis à Transports Canada, indique Mélanie Nadeau, porte-parole de l'administration portuaire.

« On respecte le bail qui expire en 2024 », confirme Manon Lapensée, porte-parole de la SIC, dans un entretien téléphonique.

« Les terrains ne sont pas sur le marché en ce moment. En temps et lieu, je ne peux pas dire quand, il y aura un exercice [de mise en valeur] qui se fera de façon collaborative avec la Ville et transparente avec le public. C'est la façon dont on fonctionne. »

La SIC contrôle les terrains depuis le 1er novembre 2010 dans le cadre de l'initiative du Nouveau Havre de Montréal.

À quel prix ?

Sur la base des transactions récentes, M. Bronfman et ses principaux partenaires connus - Alain Bouchard (Couche-Tard), Mitch Garber (Investissement Canada, Cirque du Soleil, etc.), Eric Boyko (Stingray) et Stéphan Crétier (GardaWorld) - devraient débourser au bas mot au moins 50 millions pour le terrain au complet, à moins de mauvaises surprises comme une contamination des sols plus forte que prévu.

Ce total est beaucoup plus élevé que l'évaluation municipale, à environ 6 millions.

Par exemple, Daniel Assouline et ses partenaires ont payé 42 millions pour le terrain de 540 000 pi2 du Carré Décarie, en bordure de l'autoroute Décarie. Ce qui revient à un prix de 77 $ le pied carré. Les nouveaux maîtres des lieux veulent reconstruire le centre commercial en plus petit et ajouter 700 logements.

Un expert consulté, qui n'a pas voulu être nommé pour ne pas nuire à ses affaires, considère un prix entre 50 $ et 60 $ par pied carré comme étant réaliste à ce moment-ci. Si on prend l'entre-deux, à 55 $ le pied carré, ça donne une facture de 50 millions. Une gare du REM augmenterait assurément la valeur des terrains, soutient notre source.

Évidemment, il s'agit d'une estimation préliminaire. Les usages permis, la densification supplémentaire, le nombre de pieds carrés constructibles sont tous susceptibles d'influencer à la hausse la valeur des lots.

Autre facteur à considérer, la Ville de Montréal a un droit de préemption sur le lot qui longe la voie ferrée du REM au nord du terrain, soit une sorte de droit de veto sur une prochaine transaction.

Le propriétaire, la SIC, a pour mandat de se financer en vendant des propriétés du gouvernement à leur valeur marchande. On ne doit toutefois pas totalement exclure que la SIC consente à vendre le terrain à prix d'ami, une façon pour le fédéral d'aider au retour des ligues majeures dans la ville qui a vu jouer Jackie Robinson.

En septembre 1997, à l'époque du projet mort-né du stade Labatt au sud de la rue Saint-Jacques, le ministre responsable de la SIC, Alfonso Gagliano, avait indiqué à La Presse que dans une négociation, on pouvait toujours négocier la valeur marchande. Le directeur des opérations de la SIC pour le Québec avait été plus explicite en affirmant qu'« il y avait une sensibilité de leur part à jouer le rôle de bon citoyen corporatif si ça pouvait aider les Expos ».

Quel serait le plan B ?

Où joueront Nos Z'Amours s'ils renaissent dans la ville de Russell Martin ? Quel serait le plan B du Groupe de Montréal si le scénario privilégié tombait dans l'eau du bassin Peel ?

À la demande de La Presse, la firme d'experts immobiliers Groupe Altus a passé le territoire montréalais au crible pour trouver les sites les plus prometteurs.

Soulignons que, dans le cadre d'un exercice semblable réalisé en 2017, Altus avait correctement identifié le terrain sur lequel Molson construit sa nouvelle brasserie, dans l'arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil.

Récemment, la Ville de St. Petersburg, où se trouve le domicile des Rays de Tampa Bay, n'a pas exclu de négocier avec le club de baseball avant l'échéance de son bail en 2027 ; un tel scénario ouvrirait la porte à un déménagement de l'équipe à court ou moyen terme.

Pour la maison de ses rêves, Youppi ! pourrait afficher sur Kijiji : « Cherche terrain d'au moins 350 000 pi2 à proximité du centre-ville ; accessible par métro ou par le REM ; lots peu ou pas contaminés ; propriétaires institutionnels de préférence, vendeurs motivés. »

Avec des critères aussi restrictifs, les occasions ne sont pas légion, surtout au coeur du centre-ville. En élargissant le périmètre, Noémie Lefebvre et son équipe chez Altus ont néanmoins trouvé un total de dix terrains potentiels, dont celui déjà privilégié par le Groupe de Montréal (voir onglet précédent). Parmi ces dix sites, quatre se démarquent (dont l'option A) et constituent les coups de coeur de la firme spécialisée.

Bassin Peel, au nord du canal

Dans le cas de figure où la gare du REM serait érigée au nord du canal de Lachine plutôt qu'au sud, l'option qui se démarquerait, selon le Groupe Altus, est la pointe de terrain coincée entre la voie ferrée et l'autoroute Bonaventure.

Le terrain est exigu, mais juste assez grand pour le domicile du club qui a porté l'uniforme bleu poudre à ses premières années. De coûteux travaux de remblayage paraissent toutefois nécessaires, analyse Mme Lefebvre.

« Si ce n'est pas au bassin Peel, le stade devrait être construit dans un lieu structurant comme le Royalmount ou les terrains de Radio-Canada », ajoute-t-elle.

Royalmount

Le terrain du futur complexe Royalmount se trouve éloigné du centre-ville. La circulation routière y est peut-être ardue, mais l'espace abonde sur ce terrain, fait remarquer Altus. Et puis, l'endroit serait bientôt relié au métro au moyen d'une passerelle.

« Comme c'est un lieu axé sur le commercial et le divertissement, l'achalandage touristique serait un plus pour un stade », indique Mme Lefebvre. De nos jours, les propriétaires construisent un quartier axé sur le divertissement autour de leur stade. Avec Royalmount, ce serait l'inverse : le divertissement précéderait le sport.

« On ne nous a pas approchés, répond Claude Marcotte, vice-président principal et associé chez Carbonleo, promoteur de Royalmount. Notre projet va très bien. On l'a déjà commencé. Mais si vous avez d'autres bonnes idées, ajoute-t-il avec un sourire dans la voix, rappelez-moi. Un stade de baseball ? On ne sait jamais. » 

Radio-Canada

Le Groupe Mach a une entente de développement sur les terrains de Radio-Canada dans la partie sud-est du centre-ville. Le terrain de 400 000 pi2, immédiatement à l'ouest de la tour, serait assez vaste pour y intégrer le domicile des Expos. 

« On veut construire quelque chose de bien plus payant qu'un stade de baseball », a dit en riant Pierre-Jacques Lefaivre, premier vice-président du Groupe Mach, quand on a sondé son intérêt pour ce type de projet.

Autres terrains

D'autres terrains sont envisageables : le garage Saint-Denis de la Société de transport de Montréal dans Rosemont, la partie ouest du campus Mil de l'Université de Montréal à Outremont, les entrepôts de la rue William, dans Griffintown, le terrain de l'ancien hippodrome, le Carré Décarie ou les terrains au nord de l'ancienne prison du Pied-du-Courant, sur l'avenue De Lorimier, qui viennent de tomber sous le contrôle du Groupe Prével.

« Ma préoccupation première, c'est de faire rouler ma business », dit cependant Laurence Vincent, coprésidente de Prével, une entreprise qui a bâti les 1716 logements du Lowney, dans Griffintown. « Étant donné que j'ai tellement bien vendu en 2018, j'aime mieux garder mon terrain pour avoir d'autres logements à vendre en 2019. »

Quant au terrain de la brasserie Molson, trop étroit, il a été rejeté.

Dix sites potentiels, quatre coups de coeur

Voici les dix terrains de l'île de Montréal que le Groupe Altus juge susceptibles d'accueillir un stade de baseball professionnel. Les quatre premiers sont les « coups de coeur » de la firme spécialisée en immobilier commercial.

1. Bassin Peel, rive sud

Superficie : 898 700 pi2

Propriétaire : Société immobilière du Canada (SIC)

Transports collectifs à proximité : future gare du REM

Avantages : près du centre-ville, propriétaire institutionnel unique, grand terrain disponible, entrée de la ville, bail échéant en 2024, possibilité d'y adjoindre un ensemble résidentiel et commercial

Inconvénients : terrain potentiellement contaminé et quartier industriel peu hospitalier

2. Bassin Peel, rive nord

Superficie : 410 000 pi2

Propriétaires : Société immobilière du Canada (SIC)

Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM), Peter Varadi

Transports collectifs à proximité : future gare du REM

Avantages : près du centre-ville, entrée de la ville

Inconvénients : terrain enclavé, remblayage coûteux

3. Quartier Royalmount

Superficie : plus de 1 million de pieds carrés

Propriétaires : Quartier Royalmount Limited Partnership

Transports collectifs : métro De la Savane (10 minutes à pied avec la future passerelle promise)

Avantages : propriétaire unique, quartier de divertissement prévu, grande superficie, près des axes routiers

Inconvénients : éloigné du centre-ville, congestion routière, coût élevé du terrain

4. Radio-Canada (partie ouest)

Superficie : 430 000 pi2

Propriétaire : Groupe Mach

Transports collectifs : métro Beaudry (3 minutes à pied)

Avantages : propriétaire unique, quartier en réaménagement, près des transports en commun

Inconvénients : est du centre-ville, projet résidentiel plus payant déjà prévu

5. Griffintown, rues Ottawa et de la Montagne

Superficie : 380 000 pi2

Propriétaires : Garage Jean St-Laurent et autres

Transports collectifs : métro Lucien-L'Allier (6 minutes à pied), future gare du REM

Avantages : près du centre-ville, près du Centre Bell, quartier en vogue

Inconvénients : multiples propriétaires privés, remembrement coûteux, projet résidentiel prévu sur le lot voisin à l'ouest du terrain

6. Campus Outremont (partie ouest)

Superficie : 370 000 pi2

Propriétaires : Université de Montréal et Ville de Montréal

Transports collectifs : métro Outremont (6 minutes à pied), métro Acadie (9 minutes à pied), gare Canora (15 minutes à pied)

Avantages : près du métro, pôle d'emplois et quartier en vogue : Mile Ex

Inconvénients : loin du centre-ville, loin des axes routiers, un éventuel stade empiéterait sur une aire de construction institutionnelle où l'UdeM prévoit un pavillon universitaire, la Ville de Montréal y prévoit 1300 nouveaux logements

7. Garages de la STM dans Rosemont

Superficie : environ 800 000 pi2

Propriétaires : Société de transport de Montréal (STM), Ville de Montréal

Transports collectifs : métro Rosemont (5 minutes à pied)

Avantages : grande superficie, quartier central, la STM libérera le terrain du 6000, rue Saint-Denis en 2022

Inconvénients : loin du centre-ville, accessibilité routière difficile, la Ville veut y réaliser un éco-quartier principalement résidentiel (des consultations sont prévues en 2020)

8. Carré Décarie

Superficie : 540 000 pi2

Propriétaire : SEC Centre commercial Carré Décarie

Transports collectifs : métro Namur (10 minutes à pied)

Avantages : propriétaire unique, près des axes routiers

Inconvénients : éloigné du centre-ville, projet résidentiel prévu, congestion routière, coût élevé du terrain

9. Quai De Lorimier

Superficie : 400 000 pi2

Propriétaire : Groupe Prével

Transports collectifs : métro Papineau (3 minutes à pied)

Avantages : emplacement de choix (entrée de la ville), près des axes routiers

Inconvénients : est du centre-ville, terrain contaminé, un promoteur résidentiel contrôle le site, coût élevé du terrain

10. Hippodrome de Montréal

Superficie : plus de 1 million de pieds carrés

Propriétaire : Ville de Montréal

Transports collectifs à proximité : métro Namur (6 minutes à pied)

Avantages : propriétaire institutionnel unique, grande superficie, près des axes routiers, la Ville doit modifier le zonage et vendre les premiers terrains d'ici la fin de 2023

Inconvénients : éloigné du centre-ville, congestion routière