Les propriétaires québécois d'immeubles locatifs ont accès depuis quelques jours à un système de recherche perfectionné sur leurs aspirants locataires, qualifié de «discriminatoire» par des groupes citoyens.

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Le nouvel outil permet de consulter le dossier de crédit, les antécédents judiciaires, les références d'emploi et une foule d'autres renseignements à partir d'un téléphone, d'un iPad ou d'un ordinateur. La Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), qui a mis au point ce service appelé ProprioEnquête, s'attend à traiter environ 75 000 demandes d'ici un an.

«Cela marque vraiment une innovation très majeure en Amérique du Nord, dans le sens qu'on vient démocratiser l'enquête de crédit», a fait valoir Benoit Ste-Marie, directeur général de la CORPIQ, joint hier par La Presse Affaires.

L'organisme faisait déjà des enquêtes pour le compte de ses membres, dont les résultats étaient transmis par télécopieur. Le nouveau système permettra toutefois d'avoir un portrait beaucoup plus détaillé - et plus rapide - des locataires potentiels, selon M. Ste-Marie. Les rapports de crédit seront aussi écrits en français, dans un langage vulgarisé, plutôt que d'être constitués de codes comme c'était le cas auparavant.

Le dossier de crédit sera obtenu instantanément, tandis que les recherches dans les bases de données de la Régie du logement et des palais de justice pourront prendre jusqu'à 72 h. La vérification des références personnelles et professionnelles pourra aussi prendre quelques jours.

Les propriétaires pourront remplir le formulaire informatisé devant l'aspirant-locataire, pendant la visite du logement, ce qui leur permettra de connaître sur le champ une partie des résultats de l'enquête.

«Et si, déjà, on a des mauvais résultats, on peut dire «merci beaucoup», plutôt que de retarder le processus de location», a souligné le patron de la CORPIQ.

Discrimination?

Le système ProprioEnquête, auquel 400 propriétaires se sont déjà inscrits moins d'une semaine après son lancement, est loin de plaire aux groupes de défense des locataires joints par La Presse Affaires.

«On le perçoit comme étant un obstacle supplémentaire à l'accès au logement, en particulier pour les personnes les plus ciblées par la discrimination, mais qui, malgré tout, peuvent être capables de s'offrir un logement», a fait valoir France Émond, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec.

Selon Mme Émond, les locataires pourraient présenter des preuves de paiement de certains comptes - comme le téléphone ou l'électricité -, ainsi qu'une copie des chèques qui ont servi à payer leur loyer pendant l'année précédente, afin de prouver la suffisance de leurs ressources financières. Son organisme s'oppose fermement aux formulaires de prélocation ainsi qu'aux enquêtes de crédit.

Marie-Josée Corriveau, organisatrice au Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), estime pour sa part que les enquêtes de crédit risquent de donner une image erronée de la situation financière réelle des chercheurs de logement.

«Les locataires, particulièrement les gens à faible revenu, peuvent avoir des notes qui ont été inscrites à leur dossier, en raison par exemple d'un retard dans un paiement de Bell et, pour toutes sortes de raisons, ils n'ont pas réussi à les faire enlever, a-t-elle avancé. Pourtant, il n'y aura jamais eu de problème de paiement de loyer.»

Suzanne Guèvremont, avocate spécialisée dans le droit des locataires, s'inquiète quant à elle de la conservation de données personnelles par la CORPIQ. «Je crains que ça puisse amener des abus et de la collecte de données qui n'est pas autorisée par le locataire qui signe ça.»

(L'organisme affirme qu'il les gardera pendant trois ans dans un serveur sécurisé «en conformité avec les normes d'accès à l'information».)

Adéquation

Le directeur général de la CORPIQ se défend d'encourager la discrimination avec le nouvel outil ProprioEnquête. «Ce n'est pas une question de discrimination. Si quelqu'un a de la difficulté à payer un bien, il est mieux de le savoir avant de le consommer, sinon, après, on va devoir quitter ce logement-là, c'est catastrophique.»

Benoit Ste-Marie souligne que son organisme fournit les résultats des enquêtes aux propriétaires, mais ne leur dit pas comment les interpréter. Il rappelle aussi l'ampleur du phénomène du non-paiement de loyer - 45 600 causes ont été introduites ou relancées l'an dernier à la Régie du logement. «On ne peut pas nier qu'il y a un problème majeur.»

Le directeur soutient en outre que la confidentialité des chercheurs de logement sera bien protégée, et que leur autorisation est toujours nécessaire avant de mener une enquête de crédit.

La CORPIQ offre pour le moment l'outil ProprioEnquête à ses 15 000 membres.