La construction de maisons devrait s'intensifier au cours des prochaines années partout au Canada... sauf au Québec, selon une étude publiée hier. Mais les prévisions des économistes sont particulièrement divergentes en cette période de reprise fragile, et certains redoutent même la formation... d'une nouvelle bulle immobilière.

Pas de doute, le marché résidentiel continue de faire couler de l'encre au pays.

Hier, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) a prédit qu'après une accalmie cette année, les marteaux vont recommencer à résonner sur les chantiers canadiens au cours des cinq prochaines années.

La grande exception: le Québec, où la SCHL voit les mises en chantier décliner systématiquement jusqu'en 2013.

Pourquoi, encore, cette exception québécoise?

D'abord parce que les mises en chantier ont moins chuté au Québec (la SCHL prévoit une baisse totale de 9,6% pour 2009) que dans des provinces comme la Colombie-Britannique (-56%) ou l'Ontario (-37%).

Bref, quand on descend moins, le potentiel de rebond est moindre.

Mais la SCHL croit aussi que le marché de l'emploi affichera une croissance «modeste» au Québec et elle pointe le vieillissement de la population pour expliquer ses prédictions négatives. L'organisme prévoit par ailleurs que le marché de la revente, «jusque-là favorable aux vendeurs, se rapprochera de son point d'équilibre» au Québec, ce qui freinera la demande pour les maisons neuves.

Prévisions contradictoires

Mais l'art de la prévision est une science inexacte, et les boules de cristal des économistes sont particulièrement contradictoires par les temps qui courent.

«C'est plutôt rare que ce soit divergent à ce point», admet Hélène Bégin, économiste au Mouvement Desjardins.

Alors que la SCHL prédit 43 000 mises en chantier l'an prochain, une baisse de 0,7% par rapport à cette année, Mme Bégin en voit plutôt 46 000. Pour l'année suivante, l'économiste prédit une hausse de près de 9%... alors que la SCHL table sur une dégringolade de 7%.

«On est un peu plus positif, lance-t-elle. On prévoit que ça va s'améliorer l'an prochain. La reprise économique va être plus importante, et même si les taux hypothécaires augmentent un peu, il reste que le marché du travail va être plus favorable et que ça devrait favoriser l'achat de maisons neuves.»

Tout autre son de cloche du côté de la Banque Laurentienne, où l'économiste Sébastien Lavoie est encore plus pessimiste que la SCHL. Lui ne prévoit non pas 46 000 ou 43 000 mises en chantier au Québec l'an prochain, mais 35 000.

«Selon moi, il y a tellement de ménages qui ont fait le saut dans le marché de la propriété au cours des dernières années que ceux qui avaient à le faire l'ont fait. Même ceux qui ne pensaient pas le faire l'ont fait pour profiter de la vague des taux très bas.»

Bref, «on a un peu étiré la sauce cette année, et toute bonne chose a une fin», dit M. Lavoie, dont les prévisions négatives dépassent largement l'horizon de la reprise économique.

«Dès l'an prochain, on va entrer dans une nouvelle période d'une quinzaine d'années qui va être très lente et qui sera semblable à celle du milieu des années 90», dit-il.

Pourquoi? Parce que ce sont les ménages qui achètent des maisons. Et la croissance du nombre de ménages ralentira au Québec à partir de 2011 au moins jusqu'en 2031, selon l'Institut de la statistique du Québec.

Plusieurs économistes s'inquiètent par ailleurs de voir que les Canadiens se sont massivement endettés récemment pour investir dans l'immobilier et profiter des bas taux hypothécaires. Certains n'ont peut-être pas réalisé que les taux vont immanquablement remonter avant que leur maison ne soit payée, entraînant leurs paiements à la hausse. Le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a d'ailleurs servi un avertissement à ce sujet la semaine dernière.

«On sait que les taux ne resteront pas éternellement bas, et il faudra voir si les gens ont bien planifié leurs affaires. Ceux dont l'endettement était déjà élevé avant de devenir propriétaires, ceux dont les revenus sont moindres ou qui ont étendu leurs paiements sur 30 ou 35 ans m'inquiètent davantage», dit Sébastien Lavoie, à la Laurentienne.

Son collègue de la Banque Nationale, Marc Pinsonneault, croit de son côté que les choses resteront sous contrôle à condition que la Banque du Canada remonte ses taux à temps pour freiner une éventuelle bulle.

 

"2,4%

Hausse moyenne prévue du prix d'une maison existante au Québec en 2010, selon la SCHL.

3,50 -4,25%

Fourchette de taux attendue, l'année prochaine, d'une hypothèque d'un terme d'un an, toujours selon l'organisme.

"2,1%

Croissance projetée de l'économie québécoise en 2010.

 

LE QUÉBEC EN PERTE DE VITESSE

Mises en chantier par province

2008 / 2009 (p) / 2010 / 2011

Québec: 47 901 / 43 300 / 43 000 / 40 000

Ontario: 75 076 / 47 400 / 56 500 / 63 500

Alberta: 29 164 / 17 950 / 22 000 / 24 000

Colombie-Britannique: 34 321 / 15 200 / 23 400 / 26 300

Canada : 211 056 / 141 900 / 164 900 / 174 360