Des produits certifiés «sans pizzo» - cette taxe versée à la mafia - feront bientôt leur apparition dans les magasins d'alimentation fine partout au Canada. Une société du sud de Montréal vient en effet de s'associer à un petit importateur de Québec pour distribuer ses huiles d'olive, miels et autres pestos «libres de mafia» dans les 500 boutiques qu'elle dessert.

Importations Tribeca, établi à Brossard, distribuera bientôt les produits importés par la firme Etna à travers son réseau. L'entreprise deviendra du coup la première à proposer des produits certifiés «sans pizzo» à la grandeur du Canada.

Scandales à l'hôtel de ville de Montréal, allégations de corruption et de collusion dans le monde de la construction, le crime organisé a beaucoup fait parler de lui au cours des derniers mois, souligne Isabelle Aubert, présidente d'Importations Tribeca. Un contexte idéal pour lancer une gamme de produits qui vise à combattre l'influence de la mafia dans l'économie légale.

«Je pense que les gens en ont un peu marre de tous ces systèmes et ça commence à être plus connu des Québécois, affirme Mme Aubert. Les gens sont plus avertis et ces réseaux sont moins cachés qu'avant.»

L'arrivée de ces produits équitables nouveau genre est une idée d'Yves Saint-Laurent, un entrepreneur en marketing de Québec qui est tombé amoureux de la Sicile lors d'un voyage. Incapable de trouver chez nous les confitures fines et les pâtes d'amandes qui ont rendu son périple inoubliable, il a fondé Etna il y a trois ans. Il a pris contact avec des producteurs artisanaux de cette province italienne afin de distribuer leurs produits au Québec.

À l'origine, Yves Saint-Laurent souhaitait vendre des aliments biologiques et équitables. Mais très vite, il s'est rendu compte que les artisans siciliens doivent composer avec un problème particulier à leur région: la mafia.

«On s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas prétendre importer des produits équitables alors que ces produits sont taxés par la mafia», relate M. Saint-Laurent.

Il a pris contact avec Addiopizzo, un mouvement lancé en 2004 par un groupe de jeunes entrepreneurs de Palerme qui a placardé la ville d'autocollants sur lesquels on peut lire: «Un peuple entier qui paie le pizzo est un peuple sans dignité». Le groupe rassemble aujourd'hui près de 700 membres et encourage autant les entreprises que les consommateurs à acheter «sans mafia».

Etna a commencé à importer des sauces, des miels, des huiles d'olive produits par les rares producteurs qui osent afficher l'étiquette Addiopizzo sur leurs produits. L'une d'elles fait pousser des olives biologiques sur des terres confisquées à la mafia. Malgré une certaine visibilité dans la région de Québec, M. Saint-Laurent n'avait déniché que quelques rares points de vente à l'extérieur de la Vieille Capitale. Son chiffre d'affaires n'atteignait même pas 100 000$.

En vendant ses produits exclusivement à Importations Tribeca, Etna profite d'un réseau qui comprend 500 épiceries fines, magasins d'aliments naturels et boutiques-cadeaux. Spécialisé dans les produits haut de gamme, Tribeca affiche un chiffre d'affaires qui dépasse les 2 millions par année. Et bien que l'arrivée des produits certifiés «sans pizzo» puisse attirer la curiosité, Mme Aubert espère que les consommateurs les achèteront surtout pour leur qualité.

Représailles?

Les entrepreneurs craignent-ils d'éventuelles représailles pour le défi qu'ils lancent à la mafia? Pas du tout, affirme Isabelle Aubert.

«Présentement, on n'a pas peur parce qu'on est petits et qu'on ne dérange pas, confie pour sa part Yves Saint-Laurent. On va grossir et là, peut-être qu'on va avoir un téléphone. C'est quelque chose que j'envisage si l'on grossit. La mafia n'aime pas qu'on aille jouer dans ses platebandes.»