Imaginez des camions-citernes qui font la file pour être remplis de chocolat liquide. Des immenses convoyeurs qui charrient des millions de pépites de chocolat. Des cuves géantes qui font rôtir des grains de cacao.

La scène pourrait faire partie du prochain film fantastique de Tim Burton: elle est pourtant la réalité, pour des centaines de Québécois qui travaillent à l'usine Barry Callebaut de Saint-Hyacinthe, la plus grande usine de chocolat d'Amérique.

 

N'y entre pas qui veut: la plupart du chocolat produit à Saint-Hyacinthe étant destiné au marché américain, l'usine suit des règles de prévention du bioterrorisme très strictes. On passe du conte de fées au drame d'espionnage. Les visiteurs étant plus rares, le secret est mieux gardé.

Le chocolat québécois est fait à partir de fruits qui arrivent d'Afrique, principalement du Ghana, du Nigeria et de la Côte d'Ivoire. Parfois d'Équateur, du Brésil ou même de Cuba et de la République dominicaine. Les cabosses arrivent par bateau jusqu'au port de Valleyfield. Les camions déchargent ensuite le cacao d'un côté de la rue et les graines traversent par pont aérien pour être cuites à l'usine. Le chemin du cacao se sépare ensuite puisqu'il y a 600 recettes différentes, selon le client. Une odeur sucrée flotte continuellement dans l'air.

Ce n'est pas un hasard si cette usine de film pour enfants se retrouve ici plutôt qu'aux États-Unis. Le prix du sucre est plus bas au Canada, les Américains protégeant leur production locale. C'est ce qui a incité le géant du chocolat, qui utilise une incroyable quantité de sucre, à s'installer de ce côté de la frontière. Le nom Barry Callebaut est néanmoins très peu connu ici.

Si en Europe, l'entreprise fait du chocolat fin, la plupart de son chocolat produit ici est acheté par l'industrie alimentaire qui l'utilise dans ses produits, anonymement. Ou alors sous sa marque: les petits carrés Bakers pour la cuisson sont tous faits à Saint-Hyacinthe. Plus de la moitié des 240 000 tonnes de chocolat produit annuellement est liquide. Une citerne quitte l'usine, pleine, toutes les trois heures.

À l'épreuve de la récession

Les affaires vont plutôt bien à Saint-Hyacinthe, malgré ces temps troubles pour le chocolat. Depuis un an, le prix du cacao a beaucoup augmenté. Richard Séguin, le directeur de l'usine, croit qu'on ne peut pas s'attendre à le voir redescendre rapidement et avoue qu'il commence à trouver la situation assez inquiétante. «On souffre moins dans le chocolat industriel que dans le chocolat de spécialité», précise-t-il.

Par contre, si les industriels de l'alimentation devaient modifier leurs recettes pour utiliser moins de chocolat dans leurs produits afin de garder leurs prix bas, les commandes pourraient finir par baisser. Ça ferait bien mal à Saint-Hyacinthe.

Plusieurs facteurs expliquent cette hausse du prix du cacao, dont la spéculation dans les matières premières. Mais le chocolat est aussi victime de sa popularité, dit Richard Séguin.

«Avant, l'offre réussissait à combler la demande, explique-t-il. Ce n'est plus possible. La demande mondiale ne cesse d'augmenter et le cacaoyer prend sept ans avant de donner un fruit. On ne peut pas planter des arbres en pensant avoir du cacao demain!»

La demande vient de partout. Richard Séguin note d'ailleurs que le chocolat est l'un des rares produits alimentaires à s'être bien vendu durant la récession, avec la bière!

Les consommateurs sortaient moins, épargnaient à gauche à droite, mais avaient quand même le besoin de se gâter. Un petit chocolat faisait l'affaire.

«Le chocolat n'est pas nécessairement à l'épreuve de la récession, dit Richard Séguin, mais il est moins éprouvé.»

Marché en expansion

Il y a 18 mois, Barry Callebaut a construit une nouvelle usine, à Monterrey, au Mexique. C'est une bonne nouvelle pour l'entreprise qui croît, mais une moins bonne pour la branche québécoise qui dessert les États-Unis. La multinationale crée ainsi une féroce compétition interne.

Autre os dans le chocolat: Barry Callebaut compte installer une autre usine américaine, au Brésil. Donc, nettement plus proche de la matière première, avec une main-d'oeuvre meilleure marché.

Le directeur de l'usine québécoise reste optimiste. «Nous avons l'expertise, dit-il. Nous avons de très grands experts en chocolat au Québec.»

Richard Séguin brandit un autre avantage en sa faveur: le climat. «Le gros marché du chocolat, c'est où il fait froid», dit-il. Dans l'énorme marché américain, les états du Nord consomment plus de chocolat et c'est l'usine québécoise qui leur sert.

Les gens du Nord vont aussi préférer le chocolat foncé, alors que dans le sud des États-Unis et au Mexique, on mange un chocolat plus sucré et on consomme davantage de chocolat blanc.

Les ingrédients du chocolat vont aussi être modifiés selon la proximité avec l'Équateur, explique Richard Séguin. «Plus il fait chaud, plus le chocolat fond», dit-il. Les fabricants vont alors utiliser des gras végétaux modifiés plutôt que du beurre de cacao qui fond plus vite.

Mais les goûts, en matière de chocolat, changent.

Les Québécois mangent leur chocolat de plus en plus noir, rappelle Richard Séguin. «On préfère du chocolat qui contient autour de 70% à 72% de cacao, dit-il, alors que la moyenne canadienne oscille autour de 60%. Aux États-Unis, on parlerait d'une teneur en cacao d'environ 50% et moins au Mexique.»

Barry Callebaut

Siège social à Zurich

34%

Parts de marché mondiales du chocolat

40

Usines dans le monde, dont 6 en Amérique du Nord L'usine de Saint-Hyacinthe est la deuxième en importance la première est en Belgique.

7500

Employés dans le monde dont 500 à Saint-Hyacinthe

JAMBON DE PÂQUES

Il y a des cochons plus chanceux que d'autres. Saint-Hyacinthe est la capitale agroalimentaire du Québec. On y retrouve beaucoup d'entreprises de transformation alimentaire, mais aussi beaucoup de producteurs agricoles. Et parfois, les uns travaillent avec les autres. Chez Barry Callebaut, les morceaux de chocolat qui s'échappent d'une ligne de production et tombent par terre sont mis de côté, dans des bacs. Quand les bacs sont pleins, ils prennent le chemin de fermes porcines de la région et sont donnés aux animaux. Une savoureuse récupération.