Les 787 flambant neufs destinés à China Southern Airlines et Air China attendent d'être livrés, mais pour Boeing l'avenir pourrait se révéler moins souriant avec les menaces de guerre commerciale.

Dans l'usine Boeing de Charleston, au sud des États-Unis, visitée et célébrée il y a un an par Donald Trump au cri de «God Bless Boeing» (Que Dieu bénisse Boeing), les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine semblent encore lointaines, en apparence.

Tout comme leur employeur, la plupart des salariés de ce site, qui produit les trois avions de la famille 787 «Dreamliner» et où les syndicats ont du mal à recruter, se taisent quand on évoque la question.

«Malheureusement, Boeing est une cible facile pour toute personne voulant riposter aux nouvelles mesures commerciales américaines», estime Richard Aboulafia, expert chez Teal Group.

Fleuron industriel et une des marques américaines les plus connues au monde, l'entreprise se définit elle-même comme le plus gros exportateur américain, car environ 80% de ses avions sont destinés à l'export. Tout conflit commercial, notamment vis à vis de la Chine, le marché aéronautique qui croît le plus rapidement au monde, rend par conséquent Boeing vulnérable.

Trou d'air à Wall Street

L'action Boeing a perdu quelque 10% de sa valeur à Wall Street depuis son plus haut de février, un recul reflétant les inquiétudes des marchés depuis l'apparition des tensions commerciales.

Boeing ne risque pas grand-chose à court terme, car il possède un carnet de commandes garni (5864 avions) lui assurant une production ininterrompue au moins jusqu'à 2024.

En plus, la Chine, qui connaît une explosion du trafic de passagers, ne peut pas se tirer une balle dans le pied en poussant les compagnies aériennes nationales, dans lesquelles elle détient des participations, à annuler des commandes ou en boycottant le constructeur parce qu'elle n'a pas d'alternatives, s'accordent les experts.

L'avionneur local Comac, qui ambitionne de commercialiser bientôt le C919, un avion concurrent du 737 et de l'A320 d'Airbus, n'est pas encore capable de produire à grande échelle. Cet appareil n'a effectué son premier vol test qu'en décembre. «Dans le meilleur des cas, il faudra de 5 à 6 ans encore à Comac pour avoir des capacités de production respectables», avance Michel Merluzeau, chez Air Insight.

Airbus, le grand concurrent de Boeing, dispose pour sa part d'un carnet de commandes rempli et ses fournisseurs ont du mal à suivre ses récentes augmentations de cadence.

«La Chine n'a pas de choix dans l'immédiat si elle ne veut pas mettre à rude épreuve la croissance de son transport aérien», estime M. Merluzeau, ajoutant que Pékin ne prendrait pas non plus le risque de compromettre l'avenir d'un centre de finition Boeing à Zhoushan (est) pour monocouloirs 737 devant être opérationnel cette année.

Message

C'est sur le long terme que de possibles représailles chinoises pourraient causer des dégâts à Boeing.

Jugeant que le gouvernement chinois utilise les commandes pour «envoyer des messages politiques», Scott Hamilton, expert chez Leeham Company, fait valoir que «si la Chine devait riposter en punissant Boeing, ce serait probablement en gelant de nouvelles commandes pour un temps indéterminé et en passant au rival, Airbus».

«Quelques grosses commandes à Airbus (de la part de compagnies chinoises) enverraient un message fort, particulièrement si la Chine s'abstient de commander des Boeing», renchérit Richard Aboulafia.

De janvier 2016 à janvier 2018, la Chine a représenté 20% des avions livrés par Boeing, soit 303 sur 1511 appareils réceptionnés par les compagnies aériennes, selon l'avionneur. Cette part devrait encore augmenter d'après les calculs des analystes, qui se basent sur le carnet de commandes.

Pékin peut en outre contrecarrer les futurs projets de Boeing, qui planche actuellement sur le lancement d'un nouveau programme sur le créneau des avions de 220 à 260 sièges ou «Middle of the Market» (MoM), couvert par Airbus avec l'A321neo et l'A330-800 neo.

«Il suffirait que les compagnies chinoises passent de grosses commandes d'A330-800neo et d'A321neo et le potentiel de cet avion sera réduit», avance Michel Merluzeau.

Outre la Chine, d'autres pays visés par des taxes douanières de l'administration Trump peuvent également punir Boeing.

Le Brésil peut par exemple, selon Richard Aboulafia, bloquer la fusion en cours de discussion entre Boeing et Embraer.

Après avoir été une des premières entreprises attaquées sur Twitter par le président Trump, qui avait menacé d'annuler une commande de nouveaux avions présidentiels américains Air Force One si leur prix n'était pas abaissé, Boeing a réussi à revenir dans ses bonnes grâces et son action a gagné plus de 129% depuis la victoire du magnat de l'immobilier en novembre 2016.