Tandis que la classe politique disséquera encore le sens de la vox populi exprimée hier, les membres de la Réserve fédérale s'aventureront aujourd'hui dans des eaux mal balisées, dans l'espoir de contrer les risques de déflation et de stimuler la croissance pour réduire le chômage.

Les nombreux signaux envoyés depuis plusieurs semaines par le président de la Fed Ben S. Bernanke montrent que les autorités monétaires américaines sont désormais prêtes à activer la planche à billets. En gros, l'inflation est trop faible et le chômage trop élevé. Cela revient à dire que la Fed est loin de son double mandat qui consiste à contrôler la marche des pris à un rythme annuel de 1,7% à 2,0% et d'assurer le plein emploi, c'est-à-dire un taux de chômage avoisinant les 5,5%. L'inflation est sous la barre de 1,% depuis plusieurs mois alors que le chômage est bien installé au-dessus de 9,5%.

Pour ramener l'un et l'autre près de leur cible désirée, il faudrait plusieurs trimestres d'affilée de croissance au-dessus de 4,0%. Or, ça fait deux trimestres d'affilée que l'économie progresse de 2% à peine et les perspectives à court terme n'ont pas de quoi pavoiser.

«Comme l'ont exprimé plusieurs dirigeants de la Fed, la situation économique actuelle et les perspectives sont clairement insatisfaisantes et justifient la mise en place de nouvelles actions», résument François Dupuis et Mathieu D'Anjou dans une récente étude.

Il existe aussi une autre raison non dite mais sous-jacente à cette nouvelle activation de la planche à billets: «L'incapacité du système politique américain à régler de manière efficace la dette et à investir dans la croissance à long terme fera directement retomber sur les épaules de Ben Bernanke et de son successeur la responsabilité de l'économie américaine», affirme Pierre Fournier, analyste géopolitique à la Banque Nationale.

Ce qui est en jeu à court terme, c'est l'achèvement du plan de relance du président Obama alors que le secteur privé n'est pas prêt à prendre la relève, et la fin des programmes de baisses d'impôt décrétées par son prédécesseur George W. Bush.

Avant les élections, les démocrates majoritaires dans les deux Chambres voulaient reconduire les baisses d'impôt pour les contribuables gagnant moins de 200 000$, soit 97% des ménages. Les républicains, disposant d'une minorité de blocage au Sénat, souhaitent leur reconduction intégrale. C'était l'impasse avant-hier, ce le sera sans doute encore à compter d'aujourd'hui.

La Fed doit donc compter sur elle-même. On s'attend à ce qu'elle s'aventure prudemment dans un assouplissement quantitatif qui n'a pas pour but de dégeler le crédit, comme ce fut le cas pour la première phase d'allégement lancée durant l'hiver 2009.

Selon plusieurs, elle va s'engager à acheter aux environs de 100 millions par mois d'obligations (Treasuries) venant à échéance dans 10, voire 30 ans. En achetant une partie de la dette américaine, la Fed se trouve à la monétiser, ce qui n'est pas sans danger à moyen terme.

Cela «rappelle à première vue les actions de certains gouvernements irresponsables dans des pays en développement, qui se sont presque toujours terminées par une poussée de l'inflation et un effondrement de la devise», s'inquiètent MM. Dupuis et D'Anjou.

En procédant progressivement, la Fed vise la modération de ces deux effets néfastes, qui lui permettraient de stopper la désinflation et de relancer les exportations.

Selon les économistes de Goldman Sachs, cette nouvelle phase de détente quantitative va s'échelonner sur plusieurs mois et atteindre jusqu'à 2000 milliards, tant l'économie est mal en point et tant la classe politique paraît incapable d'y remédier.

La Fed vise aussi à faire baisser les taux obligataires à long terme, de manière à stimuler les emprunts. Mais les ménages se concentrent plutôt sur la diminution de leur niveau d'endettement. «Il n'est pas clair qu'ils vont emprunter davantage, si les taux de 10 ans sont à 2,5% au lieu de, disons, 4%, soulève Derek Holt, vice-président de Scotia Capitaux. Le corollaire, c'est qu'il n'est pas clair que l'achat de Treasuries fasse quoi que ce soit pour la croissance.»