Alors que les chefs innus ont vraisemblablement été les derniers informés de la fin annoncée du projet controversé de parc éolien Apuiat, sur la Côte-Nord, l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) lance une mise en garde au nouveau gouvernement caquiste : « Tout processus qui exclut les Premières Nations est voué à l'échec. »

« Pourquoi précipiter une décision avant même d'engager le dialogue avec les [Innus] ? », a déploré le chef Ghislain Picard en entrevue à La Presse. « Les décisions prises en l'absence des premiers intéressés, dans ce cas-ci les Premières Nations, sont vouées à l'échec. C'est très mal commencer un nouveau mandat que de se mettre à dos les Premières Nations », dit-il.

Encore aux balbutiements d'une nouvelle relation, l'APNQL tient aujourd'hui à prévenir le premier ministre François Legault que le cas d'Apuiat n'est assurément pas un exemple à suivre, si son gouvernement a l'intention « sincère » de jeter les bases d'une « relation politique durable » avec les communautés autochtones de la province.

« Si nous partageons la même intention d'améliorer les relations avec les Premières Nations, la première étape doit être d'établir des ponts et de mettre toute l'énergie possible à construire une relation politique saine », martèle le chef Picard.

Selon les informations publiées mardi par La Presse, Québec doit bientôt annoncer l'abandon du projet Apuiat, qui est sur la planche à dessin depuis 2015. Hydro-Québec a été chargée de cerner une « solution de rechange » à proposer à la Nation innue, promoteur du projet estimé à 600 millions avec son partenaire privé Boralex.

« DANS L'INCONNU »

La décision a été arrêtée lors d'une rencontre entre le premier ministre, le grand patron d'Hydro-Québec, Éric Martel, et le nouveau ministre de l'Énergie, Jonatan Julien, toujours selon nos informations. 

Le chef Ghislain Picard fait cependant preuve de prudence, tout comme les chefs innus, puisqu'ils n'ont toujours pas eu de confirmation officielle de l'abandon du projet.

« Encore une fois, nous sommes dans l'inconnu, dénonce le chef Picard. Je pense que le gouvernement devrait saisir la balle au bond et rapidement rencontrer les chefs innus pour parler spécifiquement du projet. [...] Il faut que le gouvernement s'active parce que plus le temps passe, plus [les parties] deviennent vulnérables à la désinformation. »

SIGNAUX ENCOURAGEANTS

L'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador était sortie « encouragée » de sa première rencontre avec François Legault, vendredi dernier. Il n'avait toutefois pas été question du projet Apuiat, précise le chef Picard, puisque l'APNQL n'a pas pour rôle de « s'impliquer dans des dossiers ponctuels » visant une nation en particulier.

« Notre responsabilité, c'est d'asseoir les bonnes conditions [pour] construire une relation politique sur des bases solides », explique le chef Picard. C'est d'ailleurs pour éviter de « gâcher le potentiel » de l'établissement de nouveaux liens « ouverts et francs » que l'APNQL tenait à réagir au vent de controverse semé par l'abandon d'Apuiat.

« Nous avons accueilli l'arrivée du gouvernement Legault avec le sentiment qu'il y aurait une meilleure compréhension et une plus grande considération pour nos enjeux », écrit aussi le chef Picard dans un communiqué qui sera publié aujourd'hui. « Cependant, les gestes posés sans un calcul des risques ne sont certainement pas porteurs pour l'avenir. »

PERTES FINANCIÈRES POTENTIELLES

Le projet Apuiat prévoit l'aménagement d'un parc éolien d'une puissance de 200 mégawatts près de Port-Cartier sur la Côte-Nord. C'est l'ancien gouvernement libéral qui a attribué le bloc d'énergie à la communauté innue dans le cadre de sa stratégie énergétique 2006-2015. Au printemps, Éric Martel s'est opposé farouchement à la réalisation du projet.

Selon Hydro-Québec, Apuiat pourrait entraîner des pertes financières de 1,5 à 2 milliards pendant la durée du contrat d'approvisionnement de 25 ans. Les Innus contestent ces données et affirment plutôt que c'est « plus d'une dizaine de millions » qui seraient versés par an aux neuf communautés derrière le projet, qui fait aussi consensus dans les villes de la Côte-Nord.