Le gouvernement canadien ne redoute pas de brouiller ses relations commerciales avec la Chine, au lendemain d'une déclaration corsée de Justin Trudeau qui dénonçait le « dumping d'acier et d'aluminium » du géant chinois. Entre-temps, le Canada continue d'appliquer des tarifs antidumping parfois élevés sur plusieurs produits métalliques chinois.

Pas de brouille en vue, assure le ministre Champagne

Le gouvernement canadien ne craint pas de brouiller ses relations diplomatiques et commerciales avec la Chine, à la suite d'une déclaration de Justin Trudeau qui dénonçait le « dumping d'acier et d'aluminium » effectué par le géant chinois.

Le premier ministre a accusé lundi la Chine d'inonder le marché mondial avec ses métaux à bas prix, provoquant ainsi une « concurrence déloyale » pour les sidérurgistes nord-américains. M. Trudeau partage cette position avec le président des États-Unis Donald Trump, qui a épargné de justesse le Canada de tarifs de 25 % et de 10 % sur les importations d'acier et d'aluminium la semaine dernière.

De passage à Montréal hier, le ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, a estimé que cette sortie musclée ne risquait pas de nuire à la relation entre la Chine et le Canada. « Dans le commerce international, quand on a des partenaires, il faut être francs dans les positions qu'on prend et on va être fermes quand on va défendre nos industries », a-t-il dit en conférence de presse.

« On l'a fait pour Boeing, pour le bois d'oeuvre, on le fait dans le domaine de l'acier et de l'aluminium. » - François-Philippe Champagne, ministre du Commerce international

Le Canada espère lancer des négociations avec la Chine en vue d'une éventuelle entente de libre-échange - des pourparlers qui ont très peu progressé lors d'une visite de Justin Trudeau à Pékin en décembre dernier.

PAS UNE SURPRISE

Yves Tiberghien, directeur de l'Institut de recherches asiatiques de l'Université de la Colombie-Britannique (UBC), ne croit pas, lui non plus, que les déclarations de Justin Trudeau causeront un froid diplomatique entre le Canada et la Chine. La surcapacité de production chinoise dans les secteurs de l'acier et de l'aluminium constitue un problème planétaire depuis plusieurs années, rappelle-t-il, et l'enjeu s'est retrouvé au coeur des discussions lors des deux derniers sommets du G20.

« Dans les deux sommets, il y avait une certaine union entre les positions européenne, canadienne et américaine », a expliqué M. Tiberghien à La Presse

« Il y a un certain consensus qui s'est développé ces dernières années. Les Chinois ne sont pas surpris par ce qu'a dit le premier ministre. » - Yves Tiberghien, directeur de l'Institut de recherches asiatiques de l'Université de la Colombie-Britannique

La Chine produit aujourd'hui environ la moitié de l'acier mondial, contre 26 % il y a une décennie. Le pays est bien conscient de la surproduction dont il est responsable, et il a pris plusieurs mesures pour s'y attaquer. Parmi celles-ci, le président Xi Jinping a interdit toute nouvelle ouverture d'usine en 2018, rappelle l'expert de UBC.

Yves Tiberghien ajoute que la Chine est « très tournée vers elle-même » en ce moment, avec un nombre « inédit » de réformes politiques annoncées depuis deux semaines. Les amendements constitutionnels permettront notamment à Xi Jinping de rester président à vie s'il le désire. Dans ce contexte, le Canada est loin de figurer dans les priorités de Pékin ces jours-ci.

« Pour l'instant, le Canada reste dans les coulisses, il n'est pas dans le collimateur, donc les propos du premier ministre, je ne pense pas qu'ils auront un impact majeur en Chine, surtout que ça ne fait que répéter ce qui a été dit dans les sommets internationaux », a précisé le professeur de UBC.

PÉKIN RÉPOND

Le gouvernement chinois a réagi hier aux commentaires de Justin Trudeau sur le « dumping » d'acier et d'aluminium. Pékin a rappelé avoir pris des « mesures concrètes » en vue de réduire sa surcapacité, ajoutant que l'offre excédentaire était un « un problème planétaire » qu'aucun pays ne résoudrait seul.

« En réalité, la Chine se montre extrêmement déterminée et a pris des mesures concrètes pour réduire ses capacités excédentaires dans l'acier », des efforts « qui lui ont coûté beaucoup », s'est insurgé Lu Kang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, pendant une conférence de presse relatée par l'AFP. M. Lu a seulement parlé de l'acier, et non de l'aluminium.

Devant la levée de boucliers mondiale, la Chine s'est engagée à réduire ses capacités de production d'acier, qui dépassaient 1,1 milliard de tonnes en 2016, de 150 millions de tonnes entre 2016 et 2020, rapporte l'AFP. Cet objectif pourrait être atteint dès cette année, selon les autorités chinoises.

Justin Trudeau s'est entretenu avec Donald Trump au téléphone lundi et les deux dirigeants ont exprimé une vision commune sur la question du « dumping » d'acier et d'aluminium par la Chine. Le Canada a des « barrières » depuis longtemps pour prévenir cette situation, mais le premier ministre s'est engagé à examiner des moyens pour en faire « encore plus ».

PHOTO CHRISTOPHER KATSAROV, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François-Philippe Champagne, ministre du Commerce international

POURQUOI UNE SURCAPACITÉ CHINOISE ?

L'explosion de la production d'acier en Chine découle de mesures extraordinaires adoptées par le gouvernement central dans la foulée de la crise financière de 2008. Pour éviter que la croissance effrénée du pays ralentisse, Pékin a ordonné aux autorités locales et aux entreprises d'État (qui dominent la production métallurgique) de doper la production dans divers secteurs. Cette orgie d'investissements s'est traduite par la construction de nouvelles villes, d'aéroports, etc.

Ottawa prépare des mesures

Le fédéral préparerait des mesures dans l'espoir d'empêcher l'aluminium et l'acier étrangers - surtout chinois - d'inonder le marché canadien. Selon le Globe and Mail, Ottawa s'attend à un afflux de métaux à bas prix, dans la foulée des tarifs américains de 10 % et 25 % annoncés la semaine dernière et auxquels le Canada a échappé. On veut empêcher que le Canada ne devienne un point de transit pour les métaux étrangers. On propose notamment d'embaucher davantage d'inspecteurs des douanes pour surveiller les arrivages d'acier et d'aluminium.

Trudeau poursuit sa tournée

Justin Trudeau a poursuivi sa mini-tournée dans des aciéries et alumineries du pays. Après avoir témoigné de son soutien aux travailleurs de Rio Tinto Alcan à Saguenay lundi, il s'est rendu hier à Hamilton, en Ontario, où il a visité l'aciérie Stelco. Le premier ministre a fait valoir que l'argument de la sécurité nationale, invoqué par Washington pour imposer des surtaxes sur l'acier et l'aluminium, ne tenait pas la route. Le Canada et le Mexique sont pour le moment épargnés par ces tarifs. « Notre acier, notre aluminium sont dans leurs chars d'assaut, leurs navires et leurs avions », a dit M. Trudeau à une station de radio, rapporte La Presse canadienne.

Les conservateurs sceptiques

Le Parti conservateur s'est montré sceptique devant les menaces visant la Chine formulées par le premier ministre Justin Trudeau. Le député conservateur Gérard Deltell a rappelé que M. Trudeau s'était employé à tisser des liens plus étroits avec la Chine depuis son arrivée au pouvoir, et qu'il risquerait de provoquer la colère de Pékin en imposant des tarifs contre l'acier et l'aluminium chinois.

Le Congrès tient aux tarifs

Le chef républicain du Sénat américain a écarté hier l'idée d'une loi pour annuler les tarifs douaniers annoncés par le président Donald Trump sur l'acier et l'aluminium, une décision pourtant contestée par la quasi-totalité de son parti, rapporte l'AFP. « L'idée que le président signe une loi annulant l'une de ses propres décisions me semble, au mieux, douteuse », a déclaré le chef de la majorité, Mitch McConnell, lors d'une conférence de presse. « Il est hautement improbable que nous agissions sur le plan législatif », a-t-il ajouté.

DES PRODUITS CHINOIS DÉJÀ SURTAXÉS

Depuis une trentaine d'années, le Canada a imposé 67 fois une surtaxe à l'importation de produits chinois. Glacières, barbecues, clous, ail, acier, tout y est passé. Voici trois exemples de droits qui frappent actuellement l'importation de produits de Chine.

TUBES DE CANALISATION

Il s'agit des produits les plus lourdement taxés pour l'importation, soit 351,4 % en droits antidumping et 202 $ la tonne en droits compensateurs. Ces « tubes de canalisation en acier au carbone et en acier allié » ont fait l'objet d'une enquête ouverte en août 2015 à la suite d'une plainte déposée par cinq fabricants canadiens de ces canalisations. Elles sont principalement utilisées pour le transport du gaz et du pétrole, ainsi que pour la tuyauterie de certaines centrales. Les cinq fabricants canadiens considéraient que les prix proposés par les Chinois et les Sud-Coréens étaient trop bas et menaçaient les entreprises canadiennes dans ce domaine. En mars 2016, le Tribunal canadien du commerce extérieur leur a donné raison et a conclu que ces canalisations chinoises faisaient l'objet de dumping et de subventions étatiques.

TÔLES D'ACIER

C'est le produit chinois qui fait l'objet de la mesure la plus ancienne, soit depuis 1997. Des droits de 80,2 % pour dumping sont imposés pour son importation. La Chine n'est pas seule dans cette situation, une dizaine d'autres pays ont vu leurs entreprises être frappées de tels droits sur ce produit pour pouvoir exporter au Canada. Depuis 1997, le Tribunal a reconduit trois fois sa décision, la dernière datant de 2013. Ces « tôles d'acier au carbone laminées à chaud » sont principalement utilisées pour la fabrication de wagons de chemin de fer, de réservoirs de stockage pour le pétrole et le gaz, de pièces d'automobiles et de ponts. Trois grands producteurs canadiens estimaient avoir été victimes de pratiques de dumping.

RÉSINES DE POLYÉTHYLÈNE TÉRÉPHTALATE

Ce sont les plus récents droits imposés par l'Agence des services frontaliers du Canada, datant du 16 novembre dernier. Cette décision provisoire, en attente d'un jugement du Tribunal canadien du commerce extérieur, touche la Chine, le Pakistan, Oman et l'Inde. Elle impose des droits antidumping allant de 17,4 % à 45,6 %, selon le pays d'origine de l'exportateur. De quoi s'agit-il ? Le polyéthylène téréphtalate est un type de polyester qui sert non pas à fabriquer des tissus, mais des bouteilles, des pots et des contenants. La plainte initiale provenait d'une entreprise montréalaise, Selenis, qui s'estimait lésée par les tarifs pratiqués par ses compétiteurs de ces quatre pays. Selon les calculs de l'Agence, les prix chinois étaient baissés artificiellement de plus du tiers.

DUMPING OU SUBVENTION ?

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a le mandat de s'assurer que les entreprises canadiennes ne sont pas victimes de pratiques commerciales « déloyales » de leurs compétiteurs de l'étranger. Ces pratiques, ce sont essentiellement le dumping, soit un prix de vente artificiellement bas, et le subventionnement, par lequel une entreprise profite de subventions jugées illégales dans son pays d'origine. Pour corriger la situation, on imposera des droits antidumping ou, s'il s'agit de subventions, des droits compensateurs.

- KARIM BENESSAIEH, LA PRESSE