Pourquoi subventionner à coups de milliards de dollars la recherche d'hydrocarbures qui ne seront pourtant jamais utilisés si on veut réduire les changements climatiques?

Voilà la question que pose l'organisme écologiste Oil Change International, qui soutient ainsi que le Canada est l'un des pays les plus généreux du G7 - près d'un milliard de dollars par année - quand vient le temps de subventionner l'exploration dans le secteur de l'énergie, essentiellement sous la forme d'allégements fiscaux consentis aux entreprises.

«Un consensus assez large au sein de la communauté scientifique veut que si l'on souhaite atteindre les objectifs internationaux de lutte aux changements climatiques, les réserves prouvées (d'hydrocarbures) sont plus grandes que ce que l'on peut se permettre d'utiliser et de recracher dans l'atmosphère», a indiqué Stephen Kretzmann, directeur de l'organisme international établi à Washington. «Il est un peu fou de constater que nous dépensons, dans les pays du G20 seulement, 88 milliards $ chaque année pour dénicher de nouvelles réserves» dont on ne devrait pas avoir besoin, a-t-il soutenu.

Le porte-parole de l'Association canadienne des producteurs pétroliers, Ben Brunnen, affirme pourtant que l'industrie ne reçoit pas de subventions, ajoutant que le rapport est «erroné».

«Le pétrole et le gaz sont des secteurs distincts qui nécessitent un traitement spécial pour qu'ils soient concurrentiels dans l'économie globale», a-t-il nuancé.

Des scientifiques estiment que si l'on veut maintenir les changements climatiques à deux degrés Celsius - seuil au-delà duquel les conséquences pourraient être désastreuses -, les deux tiers environ des réserves actuelles connues de combustibles fossiles devraient demeurer là où elles sont.

Pour rédiger son rapport, rendu public mardi, l'organisme Oil Change a utilisé des données de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques afin de calculer l'aide consentie à la prospection d'hydrocarbures par les 20 pays les plus industrialisés (G20). Cette aide peut prendre plusieurs formes: subventions directes, allégements fiscaux, formules de financement avantageuses ou activités de sociétés d'État.

Au Canada, ces subventions prennent surtout la forme de déductions fiscales offertes aux compagnies et à leurs actionnaires. Mais l'industrie des sables bitumineux a aussi bénéficié de mesures fiscales qui permettent aux entreprises d'accélérer l'amortissement pour dépréciation, et donc de déduire plus rapidement leurs dépenses en capital. Cette mesure est offerte à toutes les industries manufacturières.

En utilisant la définition de «subventions» retenue par l'Organisation mondiale du commerce, Oil Change International a calculé que la valeur totale de ces allégements fiscaux au Canada est de 928 millions $ par année - sans compter ceux consentis par les provinces. Ainsi, chaque Canadien verse 26 $ par année à l'exploration dans le secteur de l'énergie. Au sein du G20, seule l'Australie est plus généreuse, avec 153 $ par habitant; au Royaume-Uni, c'est environ 18 $, en Russie 17 $, aux États-Unis 16 $.

Selon Oil Change International, la valeur annuelle de l'aide publique à l'exploration est à peu près le double de ce que l'industrie investit elle-même dans ses activités de prospection (37 milliards $). «Cela laisse croire que cette activité d'exploration est largement tributaire du financement public», lit-on dans le rapport.

M. Kretzmann soutient que les pays du G20 avaient promis il y a cinq ans d'éliminer progressivement cette aide à l'industrie des combustibles fossiles. «En fait, ils subventionnent ce que nous ne pourrons jamais consommer.»

Selon l'organisme, ces sommes colossales pourraient plutôt être consacrées, par exemple, aux soins de santé ou au développement de sources d'énergie renouvelable.