L'avenir de l'industrie des pâtes et papiers est de moins en moins dans la pâte et le papier, commence-t-on à constater au sein même de ce secteur qui sort de la plus importante crise de son histoire.

L'ère de la fabrication d'un seul produit vendu à un seul client est révolue, estime Luc Bouthillier, professeur à l'Université Laval et spécialiste de la forêt.

«Il y a plusieurs voies d'avenir pour l'industrie, mais il n'y a plus de grands boulevards comme avant», illustre-t-il au cours d'un entretien avec La Presse Affaires.

Les entreprises vont continuer à fabriquer de la pâte, du papier et du bois d'oeuvre, mais leur croissance viendra d'ailleurs: de produits sophistiqués, comme la nanocellulose cristalline, qui s'adresseront à une foule de clients différents dans toutes sortes de secteurs d'activité.

«Ce sont des filières de niche, précise Pierre Lapointe, président et chef de la direction de FPInnovations, qui est le carrefour de la recherche de l'industrie. L'aspect volume devient moins important.»

Les grosses usines du Québec habituées à débiter des kilomètres de papier journal et des milliers de tonnes de pâte s'adapteront-elles à cette nouvelle réalité? «Certaines d'entre elles, oui, mais pas toutes», estime Pierre Lapointe.

Décroissance

Les entreprises du secteur forestier gèrent actuellement la décroissance de leur production traditionnelle. À force de licenciements et de fermetures d'usines, l'industrie a considérablement rétréci. Son grand rendez-vous annuel, qui se tient cette semaine à Montréal, a d'ailleurs lieu maintenant dans un hôtel plutôt qu'au Palais des congrès comme autrefois.

Ses efforts ont porté leurs fruits. «Les entreprises parviennent assez bien à gérer la décroissance, dit Luc Bouthillier, parce que les prix de leurs produits se sont maintenus.»

Renouer avec la croissance est un autre défi. Il faudra toutefois de nouveaux produits, croient tant Luc Bouthillier que Pierre Lapointe.

Valeur ajoutée

Domtar a acheté le fabricant de couches Depends, pour réduire sa dépendance envers le marché du papier fin, qui souffre de la numérisation de l'économie.

Tembec et Fortress ont mis leur espoir dans la pâte cellulosique, un ancien produit destiné à l'industrie textile revenu en force en raison de l'augmentation du prix du coton. C'est une voie intéressante, mais qui reste hors de portée de la plupart des usines québécoises parce qu'elles ont abandonné le procédé chimique nécessaire à la fabrication de pâte cellulosique. Il faudrait des investissements considérables pour pouvoir exploiter cette filière.

Résolu, pour sa part, mise sur la résurrection de l'industrie américaine de la construction, dont on voit poindre certains signes. «Le prix du bois d'oeuvre va rebondir, dit Luc Bouthillier, mais ce ne sera pas l'Eldorado que certains espèrent.»

Le Québec pourra continuer de fabriquer de la pâte, du papier et du bois d'oeuvre, à condition d'y ajouter du savoir-faire et de la technologie. «Les filaments cellulosiques amélioreront la pâte qui sert à fabriquer le papier-tissu», illustre le patron de FPInnovations.

Plutôt que d'exporter les bons vieux 2X4 en quantité, les entreprises pourraient produire et vendre des systèmes intégrés de construction en bois d'ingénierie, une autre voie d'avenir pour l'industrie forestière. Il y en a d'autres, comme le bioraffinage et le papier intelligent. La recette est encore en train de s'écrire, mais elle doit contenir au moins un ingrédient, selon Pierre Lapointe: de la valeur ajoutée.

La nanocellulose cristalline À Windsor, dans le fief de Domtar, la production de ces fibres microscopiques a atteint l'étape de la commercialisation, avec 1 million de tonnes par jour. Un monde d'applications commerciales s'ouvre maintenant pour ce produit qui ressemble à de la vulgaire farine, mais qui pourrait peser lourd dans les profits de l'industrie forestière. Les clients possibles vont de l'industrie de l'aéronautique à celle des cosmétiques. La nanocellulose cristalline aurait même des propriétés antivieillissement, selon certaines recherches.

Le bois d'ingénierie

Les changements récents dans la réglementation de la construction ouvrent enfin le marché non résidentiel aux structures faites de bois lamellé-collé. Il est désormais possible de construire des immeubles de six étages à structure de bois, ce qui pourrait permettre aux pionniers de cette technologie, comme Chantiers Chibougamau, de développer des systèmes de construction en bois clés en main, comme le font déjà les Scandinaves. Un autre avantage du bois d'ingénierie est qu'il permet d'utiliser du bois de petite taille comme celui qu'on a au Québec.

Les filaments cellulosiques

Moins avancée, cette technologie qui permet de produire des fibres longues pourrait révolutionner le secteur des papiers tissu, soit les mouchoirs, essuie-tout, couches et papier hygiénique. Une petite part de filaments cellulosiques ajoutée à la pâte «fluff» (pâte de flocons) qui sert à la fabrication de ces produits leur ajoute plus de résistance et plus de douceur, ce que recherchent les fabricants de Cottonelle. En prime, les filaments cellulosiques pourraient permettre de réduire le coût de la pâte et assurer la survie des nombreuses usines qui utilisent le procédé thermo-mécanique au Québec.